Page:Nekrassov - Poésies populaires, trad. Halpérine-Kamiksky et Morice.djvu/14

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leur voix est rauque, ce n’est pas la fauvette, ce n’est pas l’hirondelle ; mais il y a une beauté lugubre dans le vol de ces grandes masses sombres, il y a un frisson mystérieux, comme un souffle d’esprits, dans le vent qu’elles font en fendant l’air. Un coup d’aile emmène l’un d’eux dans les hautes régions, on doute, tandis qu’il plane, si c’est un corbeau ou un aigle. Cependant, la neige est venue, ils se posent de nouveau, longues traînées noires sur l’immensité blanche ; et ce qu’ils apportent de vie dans ce paysage désolé ne fait qu’en accroître le deuil et l’horreur.

Ces oiseaux livides sur l’horizon russe, ce sont les vers de Nékrassof. Chaque fois que j’ai rencontré ce volume dans les maisons isolées des campagnes, chaque fois que j’ai revu ces milliers de lignes noires emplissant de leur tristesse les grandes feuilles blanches de l’in-8°, l’image obstinée m’est revenue à l’esprit. Plus de trente mille vers, d’un seul jet de fiel ! Tous, l’indignation les a faits, comme ceux du satirique latin ; le poète avoue en maint endroit qu’il ne connaît pas d’autre inspiration. « Je ne me souviens pas