Aller au contenu

Page:Nel - La flamme qui vacille, 1930.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
LA FLAMME QUI VACILLE

— Mais j’y songe ! Quelle parure mettrai-je ?

— Ta rivière en diamants ! Elle est magnifique.

— Trop ! Tout le monde la connaît par cœur.

— Bah ! qu’est-ce que ça fait ?

— Naturellement ! Cela t’est bien égal que je soie ridicule ! À moi, pas !

— Chut ! Ne nous chicanons pas. Tu mettras tes émeraudes ; tu ne les as portées que rarement.

— Oui, mais des émeraudes avec une robe rose, ça n’a pas le sens commun.

— C’est vrai. Tu as raison.

— Tu vois !

— Alors, tes rubis. Rouge sur rose, ce sera parfait !

— Jamais de la vie ! L’éclat des rubis tuerait la robe, on ne la verrait plus. On ne verrait que la parure !

— Tes opales ?

— C’est malchanceux !

— Tu ne disais pas ça quand tu en avais envie.

— D’ailleurs, c’est passé de mode !

Agacé, pressé d’en finir, Julien lâcha le mot malheureux, signal de la reprise des hostilités :

— Enfin ! arrange toi pour le mieux.

Cécile bondit :

— C’est ça !… Arrange toi !… Le voilà bien, l’égoïsme des hommes !… Débrouille toi, ma petite. Sois belle, fais mon honneur, mais débrouille toi. Comment ? Ça m’est égal ! Du moment que mon compte en banque n’en souffrira pas, le reste, je m’en moque !

— Voyons… mais ce chèque…

— C’est ça, reproche-le moi, ton chèque ! Est-ce moi qui l’ai demandé ?… N’aie pas peur !… Je suis trop indépendante !… Il est à peine suffisant, d’ailleurs !… Pour avoir une robe convenable à ce prix, il faudra que j’achète moi-même les étoffes… en marchandant… et que je les fasse assembler par une petite couturière. Ah ! Je vais être bien fagotée, je t’en réponds !

Julien se résigna à faire une concession :

— Écoute ! Je vais te faire un autre chèque de cinq cents dollars. C’est tout ce que je peux faire en ce moment !

Insensé, qui croyait s’en tirer à si bon compte ; sa nouvelle largesse fut saluée d’un sourire d’ironique pitié :

— Mon pauvre ami, tu ne comprends donc pas qu’avec la robe superbe que je veux me faire faire, il faut un collier de perles. Il faut qu’il ne fasse pas pitié, ce collier ! Autrement, l’éclat de la robe tuera la parure. On ne verra plus que la robe. Un enfant comprend ça !

— Un mari, plus difficilement !

— Ah ! ça !

— Enfin, combien ?

— Dame… à moins de cinq mille…

— Cinq mille !… Oh ! oh ! cinq mille dollars !

Il songea à ses affaires, assez difficiles depuis quelques temps. Pour satisfaire les caprices de sa femme, dont, selon sa propre expression, il voulait faire une vraie petite reine, il s’était engagé dans des spéculations boursières qui, après lui avoir donné des gains rapides et considérables, le plongeaient aujourd’hui dans de sérieuses inquiétudes. Sa femme n’en savait rien car, depuis plusieurs années, depuis que la richesse était venue, ils avaient cessé de collaborer. Désormais rassurée pour l’avenir, croyant son mari en tête d’une solide fortune, elle s’imaginait pouvoir ne rien se refuser. Avec regret, il fut contraint de s’ouvrir à elle, sans toutefois vouloir l’inquiéter :

— Il faut en faire ton deuil, ma pauvre chérie… pour le moment du moins.

— Ah ! je le savais bien ! Tu ne m’aimes plus !

Les larmes étaient proches ; il s’affola :

— Je t’en prie, Cécile, calme toi. Je serais très heureux de pouvoir te procurer ce plaisir, mais actuellement, il n’est pas permis d’y penser. Cela m’est impossible, vraiment impossible.

Cécile le considéra avec surprise.

— Nous ne sommes donc pas riches ?

— Très riches… sur le papier. Mais nous n’avons que peu ou point de disponibilités.

— Serait-il possible ?

Il la vit atterrée et, déjà, regretta sa franchise, pourtant nécessaire :

— Oh ! rassure toi. Nous ne sommes pas ruinés. Mais nous ressentons le contre-coup du récent krach de la bourse. Comme beaucoup d’autres, nous sommes obligés, pour quelques temps, de mettre les freins. On ne peut rien négocier actuellement sans supporter une énorme dépréciation. Il faut donc nous restreindre un peu et…

— Et me priver du nécessaire !

— Oh ! le nécessaire… une parure !

Encore un mot malheureux ! Décidément, les hommes sont bien maladroits, dans ce genre de discussions et il n’est pas surprenant que, toujours, Ève en sorte victorieuse :

— Une parure !

Le mot évoquait l’objet. Oubliant son inquiétude passagère, Cécile ne vit plus que la parure convoitée et, résolument, s’élança à sa conquête, chargeant à fond :

— Quoi ? Une parure !… Est-ce que je n’ai plus droit à une parure, maintenant ?… que j’ai méritée d’ailleurs, et mille fois gagnée. Car, enfin, tu ne te souviens pas assez de nos premières années de mariage, après la guerre, lorsque tu t’es lancé dans les affaires. Est-ce que je ne me suis pas assez dévouée pour toi ? Est-ce que je n’ai pas travaillé comme une esclave, tenant la maison, le jour, sans serviteurs, et le soir, t’aidant pour ta comptabilité. Tu les as vite oubliées, ces premières années où nous unissions nos efforts dans la lutte pour la vie.

— Je n’ai rien oublié !

— Dans ce temps-là, j’étais plus que ton épouse, j’étais ton associée !

— Dans ce temps-là !

— Tu ne te souviens donc plus des rêves que nous formions ensemble, de nos espoirs communs, de nos châteaux en Espagne ? Parfois, tandis que nous travaillions, tu te prenais à me regarder avec tendresse et tu me disais : Un jour, chère petite compagne, un jour, bientôt, nous serons riches et je pourrai te remer-