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Page:Nel - La flamme qui vacille, 1930.djvu/24

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LA FLAMME QUI VACILLE

cier du dévouement que tu montres en ces années d’épreuves. Alors, demande-moi ce que tu voudras !… Il n’y aura rien de trop beau pour ma petite reine !… Ah ! les temps sont bien changés !… Hélas ! l’amour s’envole et les promesses s’oublient !

Se prenant à sa propre éloquence, elle ouvrit l’écluse et laissa déferler ses larmes (ces diamants qui lui vaudraient des perles).

Devant sa douleur, Julien était vaincu. Il se résigna :

— Allons, ne pleure pas, voyons !… C’est ridicule !… Je vais te donner ton chèque, tu l’auras, ta parure !

Il rédigea le chèque et lui tendit, ajoutant, le front soucieux :

— Mais je t’assure que cela me gêne beaucoup, actuellement !

Toute à sa joie, elle ne l’entendit même pas. Redevenue gamine, elle lui sauta au cou, en s’écriant :

— Oh ! comme tu es gentil ! Et comme je t’aime !… Maintenant, vas vite, mon chéri, tu vas être en retard !

Comme il ne bougeait pas, elle s’étonna :

— Eh bien ! Julien, à quoi songes-tu ?

— Je songe que nous sommes faciles à enjôler, nous autres hommes !… Il suffit d’un petit trémolo dans la voix, d’une fausse larme qu’on fait le geste d’essuyer et nous sommes roulés, conquis, vaincus !

Elle ne releva pas l’amère critique qu’il lui retournait. Elle souriait à son collier de perles.

Une fois de plus, Ève triomphait.


IV

EN JOUANT AVEC LE FEU


Sans même lever la tête, Simone lance l’invitation, de sa voix frêle, mais décidée, tandis que ses doigts, agiles et légers, continuent à voltiger sur le clavier, où voisinent les lettres de l’alphabet et les signes de ponctuation.

Rosaire Sarment entre et contemple un instant, silencieux, celle qu’il appelle sa petite fée. Quel séduisant tableau pour un vieux bonhomme de père, que celui que présente son enfant, si gracieuse, avec ses petites mines appliquées et attentives, avec sa blouse de soie blanche et sa petite cravate noire.

Le silence du nouveau venu lui fait lever la tête et elle sourit au vieillard, dont le visage frais rasé, sous sa calotte de lustrine, exprime la tendresse et la joie :

— C’est toi, père ?

— Ce n’est que moi ! Je ne te dérange pas trop ?

Il reste sur le seuil, dans une pose gênée, les mains cachées derrière le dos. Simone le rassure :

— Toi ? Me déranger ? Tu sais bien que non. Mais tu as l’air tout drôle. Qu’y a-t-il ?

— Je suis allé faire une petite course et, en revenant, j’ai vu des fleurs. Alors, j’ai pensé à toi.

Gamine et joyeuse, elle saute au cou de son vieux papa :

— Oh ! que tu es gentil ! Des roses !… Moi qui les aime tant ! Merci, petit père ! Je vais les mettre dans l’eau.

Et, après l’avoir de nouveau embrassé, elle prend sur la table un petit vase vide et de son pas trottiné, agile et menu, comme toute sa personne, elle disparaît dans le corridor.

Le bon vieux essuie une larme de joie. Comme il fait bon pouvoir gâter un peu sa petite, après de sombres jours de misère. Habitués à vivre de peu, en leur modeste logis, est-ce qu’il ne sont pas presque riches avec leur double salaire, qui va tomber chaque semaine ?

Il regarde avec fierté ses manches de lustrine. C’est aujourd’hui que se termine la troisième semaine dans le spacieux office de Monsieur Merville. Pour la troisième fois, ce soir, viendront les petites enveloppes blanches qui contiennent le confort et la sécurité.

Tandis que Rosaire Sarment savoure son bonheur, le patron entre en coup de vent ; aussitôt, l’ancien soldat a un geste instinctif de : « garde à vous » !

— Bonjour, mon brave ami ! Ça va ?

— Gaillardement, Monsieur Merville, gaillardement ! Aïe !… À part de mes douleurs ! Ah ! saudite guerre, va !

C’est qu’en voulant se redresser un peu trop « gaillardement », il a ressenti un élancement dans les reins.

Monsieur Merville interroge :

— Et Mademoiselle Simone ?

— Oh ! elle s’est absentée pour une minute ; juste le temps d’aller chercher de l’eau.

— Et puis, es-tu content ?

— Vous pouvez dire : « radieux », Monsieur Merville, grâce à vous. Depuis trois semaines que nous travaillons pour vous, la petite et moi, le bonheur est entré chez nous ! Ah ! vous pouvez bien dire que vous êtes un vrai « Santa Claus », Vous !

— Du tout, mon brave Sarment. C’est moi qui suis chanceux d’avoir trouvé deux auxiliaires aussi dévoués.

— Ah ! pour ça, oui ! Je vous assure de notre dévouement à tous deux. Pour ma part, je me ferais tuer pour vous.

— Tu nous as prouvé que tu en étais capable ! Mais aujourd’hui, je ne t’en demanderai pas tant ! Et du moment que tu es satisfait, c’est le principal.

— Je suis plus que satisfait ! Je me sens tout ragaillardi ! Ah ! oui, la vie est belle !… Aie !… Saudite blessure !… Saudite guerre !… Saudits boches !…

Dans son enthousiasme, le bonhomme venait de s’attirer un nouveau rappel à l’ordre de ses reins sensibles. Voyant Julien s’installer à son bureau, il eut conscience d’être bavard et bredouilla :

— J’entends la petite qui revient. Je vous laisse à vos affaires. Moi, je retourne à mes dossiers.

Et avec une importance comique il alla, dans le bureau voisin, retrouver sa besogne. Simone entrait, portant le vase fleuri. Elle s’arrêta, confuse, sur le seuil :