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LA FLAMME QUI VACILLE

IV

L’HÔPITAL DE LA MADELEINE


De longs mois se sont écoulés, longs mois de souffrance, morale surtout, car, malgré la gravité d’une de ses blessures, affectant un rein, malgré les opérations douloureuses qu’il a dû subir, le caporal Sarment s’est vu entouré de soins si dévoués, qu’après l’horreur et la misère des tranchées, la vie d’hôpital semble douce, confortable et reposante.

Mais son chagrin et son angoisse sont loin d’être calmés. Quand il a repris ses sens, à l’ambulance, de braves brancardiers ont essayé de le réconforter de leur mieux. Par l’aumônier à qui il montra sa lettre, on sut sa triste histoire. Alors, on le plaignit en silence, ne sachant trop que dire à ce malheureux qui était là, gravement blessé, tandis que, de l’autre côté de l’Océan, on avait mis en terre, avant qu’il le sût, sa compagne bien-aimée.

À Montréal, que va devenir sa petite Simone ? Sans doute, les voisins qui l’ont recueillie la soigneront comme leur propre enfant, mais sauront-ils être assez tendres pour atténuer son deuil, pour lui rendre moins pénible l’absence d’une maman.

De l’ambulance à l’hôpital de concentration, la douleur physique l’a emporté sur la souffrance morale ; les cahots de la voiture, dont les roues s’embourbaient dans les ornières d’une route boueuse et défoncée, lui causaient des élancements si cruels que les déchirements de sa chair estompaient ceux de son âme en détresse.

Il lui fallut souffrir encore à l’hôpital, où l’on fut obligé de lui infliger de véritables tortures pour extraire la balle, nettoyer la plaie, la drainer, arracher les mèches, qu’un mélange de pus et de sang coagulé, faisait adhérer aux contours des chairs béantes.

Enfin, au bout de quelques jours, on retira le tube par lequel s’écoulaient les humeurs et la plaie put guérir lentement, bien lentement. Comme elle semblait presque close on la sonda, ce qui permit de constater qu’elle s’était refermée plus rapidement à l’extérieur qu’à l’intérieur. Il fallut la rouvrir.

Un beau jour, elle fut vraiment cicatrisée et l’on permit à Rosaire de se lever, c’est-à-dire de quitter son lit pour s’asseoir dans un fauteuil. Mais le moindre mouvement lui infligeait de telles douleurs qu’on décida de l’examiner aux rayons X. Le résultat de cet examen fut qu’il devait subir l’ablation d’un rein.

En conséquence, on l’installa dans un train médical pour être transporté à l’hôpital de chirurgie. Là, on le mit quelque temps en observation, puis on décida qu’effectivement, l’opération était nécessaire.

Nouvelles souffrances et longues semaines d’immobilité. Puis, le temps de la convalescence arrivé, il fut transféré à l’hôpital de la Madeleine, couvent des Sœurs de la Miséricorde, situé en plein cœur de Paris et que la guerre avait converti en hôpital. Il y avait là, pour achever les guérisons, d’excellents docteurs, civils et militaires, des religieuses patientes et dévouées, des novices douces et humbles et des dames et jeunes filles de la haute société, qui ne craignaient pas de s’instituer les servantes bénévoles de ceux qui leur avaient fait un rempart de leur corps, contre le flot envahisseur des barbares.

Quand Rosaire Sarment avait dû quitter l’hôpital de chirurgie, son infirmier, petit « parigot », incroyant, mais jovial et bon enfant, lui avait demandé :

— Où veux-tu que je t’envoie pour ta convalescence ? Veux-tu essayer l’« hosto » de la Madeleine. Tu seras obligé de réciter ta prière tous les soirs, mais tu seras tout ce qu’il y a de pépère !

Et comme le Canadien, étonné de voir ce brave garçon parler avec une telle désinvolture des choses religieuses, le regardait sans répondre, le parigot se méprit sur son hésitation et conclut :

— Bah ! qu’est-ce ça fait ? Si ça fait pas de bien, ça peut pas faire de mal. Moi, ils me l’ont bien fait dire et j’en suis pas mort !

Ne se sentant pas la force d’entreprendre une conversation, Rosaire s’était contenté de répondre :

Envoie-moi là. Je crois que j’y serai très bien !

Et il y avait été très bien en effet. Loin de lui déplaire, l’atmosphère de religion qui régnait dans le pieux établissement, le rapprochait de son cher Canada et mettait un baume sur sa douleur.


V

AGRÉABLE RENCONTRE


Le séjour de Rosaire Sarment à l’Hôpital de la Madeleine touchait à sa fin. Sans être guéri complètement — il ne devait jamais l’être — il ne requérait plus de traitement.

En attendant le conseil de réforme, il menait la vie calme et oisive qui convient aux convalescents. On avait beaucoup de liberté à cet hôpital de repos, puisqu’on avait le droit, après le café au lait du matin, de sortir jusqu’à l’heure du coucher. Naturellement, ceux que la chance favorisait et dont les parents — ou la marraine de guerre — habitaient Paris, usaient largement de la permission ; mais Sarment qui n’aurait su où aller dans la grande ville, qui lui faisait un peu peur, préférait rester avec les moins fortunés de ses compagnons, à jouer aux dames ou aux dominos, à lire, à écrire au pays ou à fumer en rêvassant. Ses rêveries ne pouvaient qu’être bien moroses, mais les saintes femmes tâchaient de leur mieux de distraire les pauvres gens laissés à leurs soins : de petites gâteries, fruits ou tasses de chocolat accompagnées d’un biscuit, venaient rompre la monotonie des longues heures de loisir.

Après le souper, l’aumônier emmenait les malades dans une maison voisine où des jeux de boules, de billard, avaient été installés et, sachant être pour eux un camarade enjoué et