Page:Nerciat - Félicia.djvu/108

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bien endormie ? — Oui, mon cher ami, elle est déjà profondément ensevelie dans le néant du sommeil, et si je n’y suis pas encore moi-même, c’est que je pensais à l’amant que j’adore, et qu’un doux pressentiment de sa galanterie suspendait sans doute l’époque de mon assoupissement…

Le galimatias de Thérèse, imitation nécessaire à la vraisemblance du rôle qu’elle avait à soutenir, manqua de me faire éclater. La fausse Éléonore me serra la main : je me contraignis.

Elle ajouta : — Puis-je proposer à mon tendre ami de monter, au lieu de se morfondre au jardin ? J’ai peine moi-même à supporter les injures d’une bise irritée… Venez, mon cher tout, venez avec assurance… — Oh ! mais, mademoiselle ! — Vous hésitez ? cette retenue m’afflige à l’excès. Mon bon ami peut-il, après tant de semblables entrevues, pousser plus loin que moi-même la crainte de me compromettre ? — J’entends bien, mademoiselle… Mais… — Serais-je digne d’un amant délicat, si par quelque imprudence j’exposais ma vertu, ma réputation à la moindre souillure ?

— Je ne dis pas que cela soit, mademoiselle… Mais… c’est que voyez-vous… la jeunesse… Et moi… au bout du compte… qui sens bien… car, je suis de chair comme un autre, et… quand le diable tente !… Mais si vous voulez absolument… Mais si vous permettiez… — Allez, amant sans estime, je reconnais à vos indignes soupçons le peu de fond que vous faites sur l’honneur d’Éléonore. Oubliez-la ; ses yeux se dessillent. Elle retire sa foi, reprenez la vôtre, et que toute liaison cesse entre nous.

Après ce congé burlesque, donné avec la dignité ridicule d’une mauvaise actrice de tragédie, la feinte Éléonore referma la croisée, sans daigner écouter ce qu’on put lui répliquer. Nous rîmes comme des folles en rentrant dans nos lits. Je crus qu’il n’y avait plus qu’à me rendormir. Mais point du tout. Peu de moments après, Caffardot, inquiet de sa disgrâce, prit sur lui, malgré le danger qu’il pouvait courir, de venir trouver la fausse Éléonore. Il frappa doucement. — « L’entendez-vous, mademoiselle, dit