Page:Nerciat - Félicia.djvu/152

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chose ; nous nous en doutions. Mme Dupré, qui monta d’abord après son dîner, nous mit plus au fait. Voici ce qui lui était arrivé :

Le chevalier, sentant un besoin au sortir de table, était descendu. Sa tête, comme l’on sait, n’était pas bien nette. En revenant, le pied lui manqua dans l’escalier, il tomba, son flambeau fit grand bruit. Mme Dupré se couchait alors et quittait sa dernière jupe. Effrayée de la chute, elle ouvrit, et voyant que c’était le chevalier, pour qui elle avait beaucoup d’amitié, elle fut à son secours. Il avait une écorchure à la jambe. La serviable veuve s’affligea beaucoup, offrit du taffetas d’Angleterre et reçut, sans aucune méfiance, le dangereux blessé dans son appartement.

Elle en était là de son histoire, quand le chevalier nous fut annoncé. La belle veuve rougit. On vit sur son visage un mélange de honte, de colère, et pourtant une nuance d’intérêt. D’Aiglemont n’avait pas sa sérénité ordinaire. Sylvina, fatiguée et se reprochant ses excès de la veille, ne paraissait pas à son aise : moi seule, sans remords, dont les autres ignoraient absolument l’escapade, j’étais calme et n’éprouvais rien qui pût troubler le plaisir qu’attendait impatiemment ma curiosité.

On gardait le silence : le chevalier le rompit à l’occasion des larmes qui s’échappaient des beaux yeux de Mme Dupré, malgré les efforts qu’on lui voyait faire pour les retenir.

— « Se peut-il, belle dame, lui dit d’Aiglemont avec attendrissement, et lui serrant les mains, se peut-il que les misères qui se sont passées cette nuit vous affligent et me forcent à des remords qui me déchirent le cœur ? — Laissez-moi, monsieur, laissez-moi, vous m’avez outragée, vous m’avez rendue malheureuse pour le reste de mes jours. — En vérité, ma belle dame Dupré, c’est pousser trop loin la délicatesse, et tout cela ne mérite pas… — Chacun a sa façon de penser, monsieur ! La mienne… — À la bonne heure ; mais un malheur, un cas extraordinaire, daignez donc lever les yeux sur moi… — Perfide, laissez-moi, comptez pour jamais sur mon mépris et ma haine. Il n’y a