Page:Nerciat - Félicia.djvu/188

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besoin de lui parler pour l’engager à rompre le silence. — Que t’en semble, mon cher ami ? lui dis-je en lui donnant un baiser… — Laissez-moi, répondit-il, le temps de chercher des expressions, s’il en est, qui puissent rendre ce que je viens de sentir. — Monrose, es-tu fâché, maintenant que je sois venue troubler ton sommeil ? — Ah ! mademoiselle, s’écria-t-il avec mille caresses passionnées, pourriez-vous me croire assez ingrat ?… — Tout de bon ? Tu ne me voudras pas autant de mal qu’à ton ami Carvel ? qu’au père principal ? — Quelle méchanceté ? vous me persiflez, et j’en meurs de honte. Mais souffrez que je vous parle avec franchise. Il n’est pas possible que ces plaisirs, dont l’impur Carvel m’entretenait sans cesse, fussent les mêmes que ceux dont vous venez de me faire jouir. Pourquoi n’y sentais-je pas le même attrait ? Pourquoi, dans nos badinages nocturnes, n’était-ce souvent qu’à force d’art que Carvel venait à bout de faire éclore, faiblement encore, ces désirs que la première de vos caresses avait allumés à l’excès. Je crois le bonheur qu’il me vantait autant au-dessous de celui-ci qu’il est indifférent pour la forme. »

Pendant que Monrose raisonnait si juste, je recommençais insensiblement à tirer parti de sa position. Mes baisers lui fermèrent la bouche. Il s’y prenait déjà mieux, et j’admirais son intelligence. Cependant, pour vouloir trop bien faire, il fit mal, et je fus obligée de le remettre sur les voies. Pour lors, j’en fus parfaitement contente, et il dut l’être de moi. Filant son bonheur avec toute l’adresse dont mon expérience me rendait susceptible, je ne m’abandonnai au plaisir que lorsque je le vis toucher lui-même au moment décisif.

Ainsi les talents en amour n’étaient pas moins précoces chez l’aimable Monrose que la bravoure et l’esprit. Après s’être tiré si bien de sa nouvelle épreuve, il me devenait encore plus cher. Nous nous jurâmes le secret ; et, de peur qu’un long sommeil ne nous mît dans le cas d’être surpris ensemble, je regagnai mon lit. Je m’endormis profondément dans le calme de la plus parfaite félicité.