Page:Nerciat - Félicia.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas une pensée sans m’en faire part. J’étais le centre de ses idées : tous ses désirs se bornaient à vivre et mourir avec moi ; voué sans réserve à mes moindres volontés, je réglais ses occupations et ses plaisirs. Je l’aimais de toute mon âme ; mais je respectais sa jeunesse et j’exigeais qu’il fût sage malgré lui ; je m’appliquai surtout à lui faire abjurer certaine ressource dont ce vilain Carvel l’avait mis au fait et dont je craignais qu’il ne fît un pis-aller quand je refusais de lui accorder des faveurs. Je lui peignis avec des couleurs si effrayantes les dangers de cette habitude scholastique qu’il jura d’y renoncer à jamais. Je savais d’ailleurs quels pouvaient être ses besoins et j’avais soin qu’il ne fût pas incommodé.

Mes arrangements ainsi pris avec Monrose, je ne m’occupai plus que des moyens de bien envelopper le chevalier Sydney dans mes filets. Je ne comptais plus sur monseigneur. Quant à d’Aiglemont, je me réservais d’en tirer le meilleur parti possible. Il me fallait un intermédiaire entre Sydney, un peu âgé pour moi, et Monrose trop jeune. J’avais besoin enfin (je suis de meilleure foi que bien des femmes qui ne conviendraient jamais de pareille chose), j’avais besoin, dis-je, d’un bon acteur. Je ne sais pas ce que pouvait être sir Sydney ; Monrose devait valoir quelque chose un jour, mais combien fallait-il attendre ? Je voyais avec plaisir que, quoique l’Anglais devînt de plus en plus amoureux et que je dusse m’attendre à le voir bientôt se déclarer, il n’était cependant pas gênant. Rien n’annonçait qu’il fût enclin à la jalousie. Le beau d’Aiglemont, qui venait fréquemment à la maison, ne lui portait point ombrage. Monseigneur, encore plus assidu, ne l’inquiétait pas plus. Il est vrai que le prélat se déclarait ouvertement à Sylvina, à qui tout de bon il se montrait plus que jamais amoureux et prodigue. J’eus pourtant, malgré tout, quelque tête-à-tête impromptu avec Sa Grandeur : il est si doux d’escamoter de temps en temps quelque chose à une rivale qui en a fait autant ! Je trouvais réellement mes passades avec Sa Grandeur délicieuses, et