Page:Nerciat - Félicia.djvu/224

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revenus attachés à la terre. Je répondis que, n’acceptant ni la propriété ni les rentes, je ne refusais cependant pas la jouissance du château, mais à condition que je serais libre d’en disposer, à mon tour, en faveur de qui bon me semblerait : mon intention était de remettre tout cela aux enfants de sir Sydney, que le soin de conserver dans sa famille un titre qui se serait éteint après lui mettait dans l’obligation de se marier.

Sur ces entrefaites, nous fîmes une rencontre singulière, dont il était impossible que nous prévissions alors les conséquences importantes. Que le sort est bizarre dans ses projets ! Souvent nous voyons naître d’une circonstance qui d’abord paraît tout à fait indifférente une chaîne d’événements qui donnent une nouvelle face à notre existence.

La nuit était déjà sombre, nous revenions tumultueusement d’une partie de chasse, et devions passer près de ces statues dont on se souvient que j’ai parlé : tout à coup le cheval d’un piqueur, qui était un peu en avant, s’effaroucha, recula et ne voulut point passer outre. Celui du chevalier, qui suivait de près, en fit autant, et lui-même fut effrayé, entrevoyant contre le piédestal un homme étendu ; nous arrivâmes en même temps. Le piqueur pria d’Aiglemont et Monrose, qui étaient à cheval à côté de moi, de descendre et de venir examiner avec lui si ce qu’on découvrait était un homme mort ou endormi : c’était un infortuné percé de plusieurs coups et perdant des flots de sang, mais qui respirait encore.

— Laissez-moi, dit celui-ci d’une voix mourante ; qui que vous soyez, vos soins sont inhumains. Ne me ravissez pas la seule consolation… — Un sanglot douloureux lui coupa la parole, nous le crûmes sans vie.

Syivina et monseigneur, qui occupaient une petite calèche, la cédèrent et furent reçus dans une autre fort spacieuse, où le gros milord tenait compagnie à Mme d’Orville et Soligny. Monrose et le piqueur volèrent au château. Le dernier reparut bientôt, suivi du laquais et du chirurgien de Sydney, à qui Monrose avait donné son cheval. Ils