Page:Nerciat - Félicia.djvu/293

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rence à ses faveurs sur celle de la fortune. » J’étais sûre que de ces deux partis, l’un ou l’autre affligerait également mon cher marquis, sensible, généreux : s’il eût possédé tous les biens dont la noblesse de sa façon de penser le rendait digne, il eût mis son bonheur à faire pour moi les plus grands sacrifices ; mais je le savais dans l’impossibilité de me rien offrir…

Il vint justement interrompre mes cruelles réflexions. À son aspect, je ne pus retenir mes larmes. — Qu’est-ce donc, adorable Félicia ? dit-il, avec un transport mêlé d’amour et de crainte, vous pleurez ! quel malheur imprévu ?… — Le plus grand des malheurs, mon cher marquis, êtes-vous prêt à le partager ? — Vous me glacez d’effroi ! Nous allons être séparés…

À ces mots accablants, il tomba dans un fauteuil, presque sans connaissance. Le comte, qui le savait auprès de moi, accourut avec son empressement ordinaire ; il fut étonné de l’état violent où nous nous trouvions : son amitié fut vivement alarmée… Cependant, d’un regard expressif, j’appris au marquis que je souhaitais qu’il gardât le silence ; et prenant la parole, je dis au comte que je m’affligeais avec son ami d’une nouvelle fâcheuse qu’il venait de recevoir. Cette confidence équivoque fit diversion aux soupçons que le comte aurait pu former. Il plaignit le marquis et demanda d’être instruit plus en détail ; mais ce sujet fut encore éloigné par l’apparition de Sylvina, qui, informée de l’arrivée de milord, venait faire éclater dans mon appartement une indiscrète joie. Le comte frémit. Le marquis, me fixant avec des yeux pénétrants, me fit rougir. Il apprenait enfin que ce malheur, auquel je venais de le préparer, était le retour de Sydney… Nous nous taisions : le marquis s’accusant de la gêne où il nous voyait tous, sortit. Je n’osai lui faire des signes d’intelligence, de peur de trahir nos secrets ; mais j’étais sûre qu’il reviendrait à l’heure ordinaire : jamais le besoin de le revoir ne s’était fait sentir aussi vivement.