Page:Nerciat - Félicia.djvu/292

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lui écrivis donc par son émissaire de venir sur l’heure, ayant à lui communiquer des choses de la dernière importance.

Puis, répondant à Mme  de Kerlandec en deux mots, qui ne signifiaient rien, je fixais au surlendemain le rendez-vous qu’elle me demandait.

Cependant, je me trouvais dans un étrange embarras. La peine que me faisait éprouver le retour subit de milord m’apprenait trop combien le marquis m’était cher… Comment allais-je me comporter ?… que dire ?.. Quel arrangement prendre, dont l’un et l’autre de mes amants fût satisfait ? J’estimais milord Sydney, je lui devais beaucoup ; mais j’aimais le marquis de toute mon âme et je ne me sentais pas capable de le sacrifier… Je n’eus pas besoin de réfléchir longtemps pour me décider, je fus prête à rendre la terre, les bijoux, les équipages, plutôt que de renoncer à ma nouvelle conquête… Cependant, la dernière lettre de milord me rassurait un peu : retrouvant son ancienne maîtresse, il allait, sans doute, me laisser libre… Mais, alors, que devenait le pauvre comte ? me rendais-je contraire aux intérêts de son amour ? Allais-je souhaiter que Mme  de Kerlandec ne lui appartînt jamais ?… Il m’intéressait ; il méritait d’être heureux, d’être dédommagé de tout ce qu’il avait souffert pour cette beauté constamment fatale à ceux qui l’avaient aimée…

Le marquis avait eu la délicatesse de ne me jamais faire de questions au sujet de l’aisance dont je jouissais. Son silence à cet égard prouvait qu’il me supposait une fortune indépendante, et qu’il ignorait que quelqu’un fît les frais de mon excessive dépense. Il n’était pas riche lui-même à proportion de sa naissance et de son état de guidon d’un corps de la maison du roi. Comment le mettre au fait de ma position et dans quelle circonstance, lorsqu’il s’agissait de lui dire : « Marquis, ta maîtresse ne peut plus disposer d’elle même : elle appartient à quelqu’un qui, dans ce moment, vient te l’enlever, ou bien je perds tout ce bien-être dont tu me voyais jouir, si je te demeure attachée ; mais je n’hésite pas : tout à l’amour, je donne la préfé-