Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/258

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main à l’escamoteur, en forme de consentement, lui demandant dix jours pour trouver la somme, à quoi l’autre s’accorda, après avoir noté sur le mur le jour fixe de l’échéance. Ensuite, il prit le livre du grand Albert, commenté par Corneille Agrippa et l’abbé Trithème, l’ouvrit à l’article des Combats singuliers, et, pour assurer davantage Eustache que son opération n’aurait rien de diabolique, lui dit qu’il pourrait cependant réciter ses prières, sans crainte d’y apporter aucun obstacle. Il leva alors le couvercle d’un bahut, en tira un pot de terre non vernissé, et y fit le mélange de divers ingrédients qui paraissaient lui être indiqués par son livre, en prononçant à voix basse une sorte d’incantation. Quand il eut fini, il prit la main droite d’Eustache, qui, de l’autre, faisait le signe de la croix, et l’oignit jusqu’au poignet de la mixtion qu’il venait de composer.

Ensuite il tira encore du bahut un flacon très-vieux et très-gras, et le renversant lentement, répandit quelques gouttes sur le dos de la main, en prononçant des mots latins qui se rapprochaient de la formule que les prêtres emploient pour le baptême.

Alors seulement, Eustache ressentit dans tout le bras une sorte de commotion électrique qui l’effraya beaucoup ; sa main lui sembla comme engourdie, et cependant, chose bien étrange, elle se tordit et s’allongea plusieurs fois à faire craquer ses articulations, comme un animal qui s’éveille, puis il ne sentit plus rien, la circulation parut se rétablir, et maître Gonin s’écria que tout était fini, et qu’il pouvait bien à présent défier à l’épée les plus roides plumets de la cour et de l’armée, et leur percer des boutonnières pour tous les boutons inutiles dont la mode surchargeait alors leurs vêtements.