Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/280

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née un instant, et j’ai revu comme en un mirage les traits adorés d’autrefois !

La vie d’un poëte est celle de tous. Il est inutile d’en définir toutes les phases. Et, maintenant,


Rebâtissons, ami, ce château périssable
Que le souffle du monde a jeté sur le sable.
Replaçons le sofa sous les tableaux flamands
Et pour un jour encor relisons nos romans.


I

PREMIER CHÂTEAU

C’était dans notre logement commun de la rue du Doyenné que nous nous étions reconnus frères, — Arcades ambo, — bien près de l’endroit où exista l’ancien hôtel de Rambouillet.

Le vieux salon du Doyenné, restauré par les soins de tant de peintres, nos amis, qui sont depuis devenus célèbres, retentissait de nos rimes galantes, traversées souvent par les rires joyeux ou les folles chansons des Cydalises. Le bon Rogier souriait dans sa barbe, du haut d’une échelle, où il peignait sur un des quatre dessus de glace un Neptune, — qui lui ressemblait ! Puis les deux battants d’une porte s’ouvraient avec fracas : c’était Théophile. Il cassait, en s’asseyant, un vieux fauteuil Louis XIII. On s’empressait de lui offrir un escabeau gothique, et il lisait, à son tour, ses premiers vers, — pendant que Cydalise Ire, ou Lorry, ou Victorine, se balançaient nonchalamment dans le hamac de Sarah la blonde, tendu à travers l’immense salon.

Quelqu’un de nous se levait parfois, et rêvait à des vers nouveaux en contemplant, des fenêtres, les façades sculptées de la galerie du Musée, égayée de ce côté par les arbres du manège.