Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/308

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chevalerie et les éblouissantes couleurs poétiques de notre littérature romane, etc. ? Mais les poètes de la réforme classique n’étaient point de cette taille, et peut-être est-il injuste de vouloir qu’ils aient vu dans l’ancienne littérature française ce que ces grands hommes y ont vu avec le regard du génie, et ce que nous n’y voyons aujourd’hui sans doute que par eux. Au moins rien ne peut-il justifier ce superbe dédain qui fait prononcer aux poëtes de la Pléiade qu’il n’y a absolument rien avant eux, non-seulement dans les genres sérieux, mais dans tous ; ne tenant pas plus compte de Rutebœuf que de Charles d’Anjou, de Villon que de Charles d’Orléans, de Clément Marot que de Saint-Gelais, et de Rabelais que de Joinville et de Froissart dans la prose. Sans cette ardeur d’exclure, de ne rebâtir que sur des ruines, on ne peut nier que l’étude et même l’imitation momentanée de la littérature antique n’eussent pu être, dans les circonstances d’alors, très-favorables aux progrès de la nôtre et de notre langue aussi ; mais l’excès a tout gâté : de la forme, on a passé au fond ; on ne s’est pas contenté d’introduire le poëme antique, on a voulu qu’il dît l’histoire des anciens et non la nôtre ; la tragédie, on a voulu qu’elle ne célébrât que les infortunes des illustres familles d’Œdipe et d’Agamemnon ; on a amené la poésie à ne reconnaître et n’invoquer d’autres dieux que ceux de la mythologie ; en un mot, cette expédition, présentée si adroitement par du Bellay comme une conquête sur les étrangers, n’a fait, au contraire, que les amener vainqueurs dans nos murs ; elle a tendu à effacer petit à petit notre caractère de nation, à nous faire rougir de nos usages et même de notre langue au profit de l’antiquité ; à nous amener, en un mot, à ce comble de ridicule qu’au xixe siècle même, nous représentions encore nos rois et nos héros en costumes romains, et que nous ayons employé le latin pour les inscriptions de nos monuments, séduits que nous sommes par de fausses idées de goût et de convenance. Bon Dieu ! que diront un jour nos arrière-neveux en découvrant des pierres sépulcrales de chrétiens, qui portent pour lé-