Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/345

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— Et l’on est regardé comme un homme qui n’a pas de conduite.

— Si j’étais préfet de police, au lieu de faire fermer les boutiques, les théâtres, les cafés et les restaurants à minuit, je payerais une prime à ceux qui resteraient ouverts jusqu’au matin. Car enfin je ne crois pas que la police ait jamais favorisé les voleurs ; mais il semble, d’après ces dispositions, qu’elle leur livre la ville sans défense, une ville surtout où un grand nombre d’habitants : imprimeurs, acteurs, critiques, machinistes, allumeurs, etc., ont des occupations qui les retiennent jusqu’après minuit. Et les étrangers, que de fois je les ai entendus rire… en voyant que l’on couche les Parisiens si tôt !

— La routine ! dit mon ami.


VII

LE CAFÉ DES AVEUGLES

— Mais, reprit-il, si nous ne craignons pas les tire-laine, nous pouvons encore jouir des agréments de la soirée ; ensuite nous reviendrons souper, soit à la pâtisserie du boulevard Montmartre, soit à la boulangerie, que d’autres appellent la boulange, rue Richelieu. Ces établissements ont la permission de deux heures. Mais on n’y soupe guère à fond. Ce sont des pâtés, des sandwich, une volaille peut-être, ou quelques assiettes assorties de gâteaux, que l’on arrose invariablement de madère. Souper de figurante, ou de pensionnaire… lyrique. Allons plutôt chez le rôtisseur de la rue Saint-Honoré.

Il n’était pas encore tard, en effet. Notre désœuvrement nous faisait paraître les heures longues… En passant au perron pour traverser le Palais-Royal, un grand bruit de tambour nous avertit que le Sauvage continuait ses exercices au café des Aveugles.

L’orchestre homérique[1] exécutait avec zèle les accompagne-

  1. Ο μή όράων, aveugle.