Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/346

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ments. La foule était composée d’un parterre inouï, garnissant les tables, et qui, comme aux Funambules, vient fidèlement jouir tous les soirs du même spectacle et du même acteur. Les dilettantes trouvaient que M. Blondelet (le Sauvage) semblait fatigué et n’avait pas dans son jeu toutes les nuances de la veille. Je ne pus apprécier cette critique ; mais je l’ai trouvé fort beau. Je crains seulement que ce ne soit aussi un aveugle et qu’il n’ait des yeux d’émail.

Pourquoi des aveugles, direz-vous, dans ce seul café, qui est un caveau ? C’est que, vers la fondation, qui remonte à l’époque révolutionnaire, il se passait là des choses qui eussent révolté la pudeur d’un orchestre. Aujourd’hui tout est calme et décent. Et même la galerie sombre du caveau est placée sous l’œil vigilant d’un sergent de ville.

Le spectacle éternel de l’Homme à la poupée nous fit fuir, parce que nous le connaissions déjà. Du reste, cet homme imite parfaitement le français-belge.

Et maintenant, plongeons-nous plus profondément encore dans les cercles inextricables de l’enfer parisien. Mon ami m’a promis de me faire passer la nuit à Pantin.


VIII

PANTIN

Pantin, c’est le Paris obscur, quelques-uns diraient le Paris canaille ; mais ce dernier s’appelle, en argot, Pantruche. N’allons pas si loin.

En tournant la rue de Valois, nous avons rencontré une façade lumineuse d’une douzaine de fenêtres : c’est l’ancien Athénée, inauguré par les doctes leçons de la Harpe. Aujourd’hui, c’est le splendide estaminet des Nations, contenant douze billards. Plus d’esthétique, plus de poésie ; on y rencontre des gens assez forts pour faire circuler des billes autour de trois chapeaux espacés sur le tapis vert, aux places où sont les mou-