Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/348

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joyeux. Un sergent de ville vous avertit paternellement que l’on ne peut fumer que dans la salle d’entrée, — le prodrome.

Nous jetons nos bouts de cigare, immédiatement ramassés par des jeunes gens moins fortunés que nous. Mais, vraiment, le bal est très bien ; on se croirait dans le monde, si l’on ne s’arrêtait à quelques imperfections de costume. C’est, au fond, ce qu’on appelle à Vienne un bal négligé.

Ne faites pas le fier. Les femmes qui sont là en valent bien d’autres, et l’on peut dire des hommes, en parodiant certains vers d’Alfred de Musset sur les derviches turcs :


Ne les dérange pas, ils t’appelleraient chien…
Ne les insulte pas, car ils te valent bien !


Tâchez de trouver dans le monde une pareille animation. La salle est assez grande et peinte en jaune. Les gens respectables s’adossent aux colonnes, avec défense de fumer, et n’exposent que leurs poitrines aux coups de coude, et leurs pieds aux trépignements éperdus du galop et de la valse. Quand la danse s’arrête, les tables se garnissent. Vers onze heures, les ouvrières sortent et font place à des personnes qui sortent des théâtres, des cafés-concerts et de plusieurs établissements publics. L’orchestre se ranime pour cette population nouvelle, et ne s’arrête que vers minuit.


IX

LA GOGUETTE

Nous n’attendîmes pas cette heure. Une affiche bizarre attira notre attention. Le règlement d’une goguette était affiché dans la salle :


société lyrique des troubadours


« Bury, président. Beauvais, maître de chant, etc.

« Art. 1er. Toutes chansons politiques ou atteignant la religion ou les mœurs sont formellement interdites.