Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/18

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pelant qu’elle n’a pas encore vécu ; le doux sourire de cet œil, qui fait trêve aux larmes pour caresser les faiblesses d’un père, première agacerie, hélas ! qui ne sera pas pour l’amant !… Oh ! comme chacun est attentif pour en recueillir quelque chose ! La tuer ? elle ! qui donc y songe ? Grands dieux ! personne peut-être ?… Au contraire ; chacun s’est dit déjà qu’il fallait qu’elle mourût pour tous, plutôt que de vivre pour un seul ; chacun a trouvé Achille trop beau, trop grand, trop superbe ! Iphigénie sera-t-elle emportée encore par ce vautour thessalien, comme l’autre, la fille de Léda, l’a été naguère par un prince berger de la voluptueuse côte d’Asie ? Là est la question pour tous les Grecs, et là est aussi la question pour le public qui nous juge dans ces rôles de héros ! Et moi, je me sentais haï des hommes autant qu’admiré des femmes quand je jouais un de ces rôles d’amant superbe et victorieux. C’est qu’à la place d’une froide princesse de coulisse, élevée à psalmodier tristement ces vers immortels, j’avais à défendre, à éblouir, à conserver une véritable fille de la Grèce, une perle de grâce, d’amour et de pureté, digne en effet d’être disputée par les hommes aux dieux jaloux ! Était-ce Iphigénie seulement ? Non, c’était Monime, c’était Junie, c’était Bérénice, c’étaient toutes les héroïnes inspirées par les beaux yeux d’azur de mademoiselle