Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/210

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une sorte de révolte contre son pouvoir, et elle sentit que tout son règne dépendait de la résolution qu’elle prendrait en ce moment décisif, et c’est dans cette idée qu’elle donna un grand coup de fouet à son cheval, qui, en deux élans, l’emporta hors de la cour.

Toffel n’eut donc rien de mieux à faire que de monter sur la rosse, en soupirant et en murmurant quelques phrases de sa langue incomprise, comme sapperment ! verflucht ! et autres aménités germaniques dont il pouvait, au besoin, dissimuler le sens. Tout à coup il fut interrompu dans son monologue par un cri parti du haut de la montagne. Toffel jeta les yeux autour de lui, puis il regarda la hauteur, mais il n’aperçut rien, rien ne se faisait plus entendre, et pourtant la voix qui avait percé ses oreilles était la voix aiguë et sonore de sa femme, il en était certain.

Elle l’avait devancé au galop de quelques centaines de pas, et bientôt les sinuosités de la route, à travers les montagnes, l’avaient dérobée à ses regards. — Le cheval gris l’a certainement jetée à bas, se dit le loyal garçon ; et à peine cette idée s’était-elle présentée à son esprit, qu’il vit, en effet, son coursier favori descendre à grands bonds la montagne. Toffel fut saisi de frayeur ; il se jeta, des deux jambes à la fois, à bas de sa rosse, et courut au devant du cheval fougueux, qui, reconnaissant son maître, s’arrêta tranquillement jusqu’à ce qu’il l’eût débarrassé de la selle de Jemmy, et qu’il eût monté dessus avec son rejeton. Alors Toffel se dirigea au grandissime trot vers le haut de la montagne, et courut au secours de sa moitié, de laquelle bien d’autres ne se seraient guère plus inquiétés après la manière dont elle s’était comportée ; mais Toffel était d’une bonne pâte d’Allemand ; et il se