Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/211

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hâta de tout son pouvoir d’arriver à l’endroit fatal où elle devait avoir établi sa couche. Une seconde fois il entendit crier, mais ce n’était pas sa voix ordinaire, c’était plutôt un cri de détresse. Ce cri se renouvela, et, trempé d’une sueur froide, Toffel alors lança son cheval ventre à terre du côté d’où semblait venir la voix de sa femme ; mais point de traces. Il regarda à droite, à gauche, puis à terre, et enfin il remarqua avec un horrible serrement de cœur des traces de pas d’hommes, et à côté les empreintes des pieds de sa femme. Des hommes étaient venus là, c’était évident ; mais dire ce qu’était devenue sa femme, c’était une chose bien difficile, les traces se perdaient dans la forêt. Il examina de nouveau ces traces, et il reconnut avec consternation la large empreinte des mocassins des Indiens. Un regard vers la forêt lui fit apercevoir quelque chose d’un gris noir, c’était une plume d’aigle : plus de doute, sa malheureuse Jemmy venait d’être surprise et enlevée par les Indiens.

Toffel aimait sincèrement sa femme ; cependant il n’eut point d’évanouissement, et toute la force de son amour ne put lui arracher une larme ; et, au lieu de perdre du temps en vaines lamentations, il courut au grand galop rejoindre le meeting, apprit à ses voisins que les Indiens avaient surpris et enlevé sa femme tandis qu’elle se rendait à l’assemblée, ajoutant qu’il fallait qu’il la recouvrât à tout prix, et que s’ils étaient bons voisins, et s’ils voulaient être des hommes libres, il fallait qu’ils vinssent courir en toute hâte avec lui sur les traces de ces peaux rouges pour leur reprendre sa Jemmy. Comme ceux à qui il s’adressait étaient en effet des hommes de cœur, Toffel, en peu d’heures, se vit à la tête de cinquante jeunes gens, qui,