Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/225

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En disant cela, Toffel agit en bon et loyal Allemand qui pensait qu’il valait mieux ne pas prendre un parti de son propre chef, et mettre toute la responsabilité de sa position sur l’autorité divine et humaine.

Jemmy tressaillit ; le mot de loi, ou, ce qui en est la conséquence, un procès, résonnait désagréablement à ses oreilles, et elle hésitait, quand sa rivale, qui s’était retirée dans la chambre voisine, reparut tenant dans ses bras les deux lourds bas remplis de dollars de la communauté.

— Prends-les, dit-elle d’une voix douce à Jemmy, prends-les, et Jeremias Hawthorn est encore garçon ; sois heureuse, bonne Jemmy.

Il y avait quelque chose de touchant dans sa voix et dans sa proposition sincère. Tout autre cœur que celui de la femme irlandaise se serait ému ; mais la vue de la femme heureuse sembla ranimer les transports de Jemmy. Jetant sur Marie un regard du plus profond mépris, elle s’approcha de Toffel, lui serra la main en lui disant adieu, et sortit précipitamment de la chambre.

— Cours, cours, cher Toffel, de toutes tes forces, s’écria Marie ; cours, pour l’amour de Dieu ! elle pourrait attenter à elle-même.

Toffel était resté immobile, privé, pour ainsi dire, de sentiment ; on aurait pu croire que tout lui paraissait un songe : la voix de sa femme le rappela à la réalité. Il se mit à courir de toutes ses forces après la pauvre fugitive ; mais celle-ci avait déjà gagné beaucoup d’espace sur lui. Redoublant ses longs pas, il était sur le point de l’atteindre, lorsqu’elle se retourna et lui ordonna de regagner sa maison. Elle proféra cet ordre d’un ton si ferme, que Toffel, encore habitué à obéir à ses volontés, s’y conforma en