Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/226

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reprenant lentement le chemin de chez lui. Après avoir fait quelques pas, il s’arrêta néanmoins, suivit d’un oeil fixe la marche rapide de Jemmy jusqu’à ce qu’elle eût disparu dans les profondeurs du coteau ; alors il secoua la tête, et pensa... quoi ? C’est ce que nous ne saurions dire.

Jemmy poursuivait maintenant, comme un chevreuil qu’on a effrayé, sa course vers le haut de la montagne ; la voilà arrivée encore à cette fatale saillie où son bonheur d’ici-bas avait, il faut bien le dire, par sa propre faute, reçu une si terrible atteinte. Là était la maison qui renfermait les deux Toffel ; là paissaient ses vaches et ses génisses et une demi-douzaine des plus grands chevaux qu’elle eût jamais vus. Maintenant elle en eût eu à choisir ! Et il fallait renoncer à tout cela ! Cette pensée lui fit verser des larmes amères, Et maintenant plus de famille, plus d’amis peut-être ; que dirait-on de cette Jemmy si longtemps perdue, Jemmy la squaw indienne ?... Insensiblement, ses sens se calmèrent ; une nouvelle pensée sembla germer en elle, et à chaque seconde cette résolution semblait se raffermir. Enfin, comme pour échapper à la possibilité d’un changement d’idées, elle se redressa tout à coup avec force, courut à toutes jambes vers la forêt, et pénétra toujours plus avant dans ses profondeurs.


V. — OÙ L’ON DEMONTRE COMMENT LES DEUX ÉPIS ROUGES ÉTAIENT POURTANT UN PRÉSAGE

Ce fut vers l’année 1826 que Jemmy recommença son long voyage pour retourner vers ceux qu’elle avait fuis naguère. Elle retrouva le même courage inflexible pour aborder