Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/307

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pas seuls à table et voulurent lier connaissance avec l’étranger ; car il pouvait venir de loin, avoir de l’esprit, raconter des nouvelles, et dans ce cas c’était une bonne fortune ; ou arriver des environs, garder un silence stupide, et alors c’était un niais dont on pouvait rire.

Un sous-lieutenant des écoles s’approcha de Wilhelm avec une politesse qui frisait l’exagération.

— Bonsoir, monsieur, savez-vous des nouvelles de Paris ?

— Non, monsieur, et vous ? dit tranquillement Wilhelm.

— Ma foi, monsieur, nous ne sortons pas de Bitche, comment saurions-nous quelque chose ?

— Et moi, monsieur, je ne sors jamais de mon cabinet.

— Seriez-vous dans le génie ?…

Cette raillerie dirigée contre les lunettes de Wilhelm égaya beaucoup l’assemblée.

— Je suis clerc de notaire, monsieur.

— En vérité ? à votre âge c’est surprenant.

— Monsieur, dit Wilhelm, est-ce que vous voudriez voir mon passeport ?

— Non, certainement.

— Eh bien ! dites-moi que vous ne vous moquez pas de ma personne et je vais vous satisfaire sur tous les points.

L’assemblée reprit son sérieux.

— Je vous ai demandé, sans intention maligne, si vous faisiez partie du génie, parce que vous portiez des lunettes. Ne savez-vous pas que les officiers de cette arme ont seuls le droit de se mettre les verres sur les yeux ?

— Et cela prouve-t-il que je sois soldat ou officier, comme vous voudrez…