Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/308

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— Mais tout le monde est soldat aujourd’hui. Vous n’avez pas vingt-cinq ans, vous devez appartenir à l’armée ; ou bien vous êtes riche, vous avez quinze ou vingt mille francs de rente, vos parents ont fait des sacrifices… et dans ce cas-là, on ne dîne pas à une table d’hôte d’auberge.

— Monsieur, dit Wilhelm, en secouant sa pipe, peut-être avez-vous le droit de me soumettre à cette inquisition, alors je dois vous répondre catégoriquement. Je n’ai pas de rentes, puisque je suis un simple clerc de notaire, comme je vous l’ai dit. J’ai été réformé pour cause de mauvaise vue. Je suis myope, en un mot.

Un éclat de rire général et intempéré accueillit cette déclaration.

— Ah ! jeune homme, jeune homme ! s’écria le capitaine Vallier en lui frappant sur l’épaule, vous avez bien raison, vous profitez du proverbe : il vaut mieux être poltron et vivre plus longtemps !

Wilhelm rougit jusqu’aux yeux : — Je ne suis pas un poltron, monsieur le capitaine ! Et je vous le prouverai quand il vous plaira. D’ailleurs, mes papiers sont en règle, et si vous êtes officier de recrutement, je puis vous les montrer.

— Assez, assez, crièrent quelques officiers, laisse ce bourgeois tranquille, Vallier. Monsieur est un particulier paisible, il a le droit de souper ici.

— Oui, dit le capitaine, ainsi mettons-nous à table, et sans rancune, jeune homme. Rassurez-vous, je ne suis pas chirurgien examinateur, et cette salle à manger n’est pas une salle de révision. Pour vous prouver ma bonne volonté, je m’offre à vous découper une aile de ce vieux dur à cuir qu’on nous donne pour un poulet.