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LES FILLES DU FEU

feuilletoniste ou un romancier se présente, « tout le dedans des rayons tremble. » Un bibliographe, un homme appartenant à la science régulière, savent juste ce qu’ils ont à demander. Mais l’écrivain fantaisiste, exposé à perpétrer un roman-feuilleton, fait tout déranger, et dérange tout le monde pour une idée biscornue qui lui passe par la tête.

C’est ici qu’il faut admirer la patience d’un conservateur, — l’employé secondaire est souvent trop jeune encore pour s’être fait à cette paternelle abnégation. Il vient parfois des gens grossiers qui se font une idée exagérée des droits que leur confère cet avantage de faire partie du public, — et qui parlent à un bibliothécaire avec le ton qu’on emploie pour se faire servir dans un café. — Eh bien, un savant illustre, un académicien, répondra à cet homme avec la résignation bienveillante d’un moine. Il supportera tout de lui de dix heures à deux heures et demie, inclusivement.

Prenant pitié de mon embarras, on avait feuilleté les catalogues, remué jusqu’à la réserve, jusqu’à l’amas indigeste des romans, — parmi lesquels avait pu se trouver classé par erreur l’abbé Bucquoy ; tout d’un coup un employé s’écria : — Nous l’avons en hollandais ! Il me lut ce titre : « Jacques de Bucquoy : — Événements remarquables… »

— Pardon, fis-je observer, le livre que je cherche commence par « Événement des plus rares… »

— Voyons encore, il peut y avoir une erreur de traduction : «… d’un voyage de seize années fait aux Indes. — Harlem, 1744. »

— Ce n’est pas cela… et cependant le livre se rapporte à une époque où vivait l’abbé de Bucquoy ; le prénom Jac-