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LES FILLES DU FEU

Cette lettre ne porta pas bonheur au pauvre jeune homme qui l’avait écrite. En essayant de la glisser à Angélique, il fut surpris par le père, — et mourait à quatre jours de là, tué l’on ne dit pas comment.

Le déchirement que cette mort fit éprouver à Angélique lui révéla l’Amour. Deux ans entiers elle pleura. Au bout de ce temps, ne voyant, dit-elle, d’autre remède à sa douleur que la mort ou une autre affection, elle supplia son père de la mener dans le monde. Parmi tant de seigneurs qu’elle y rencontrerait elle trouverait bien, pensait-elle, quelqu’un à mettre en son esprit à la place de ce mort éternel.

Le comte d’Haraucourt ne se rendit pas, selon toute apparence, aux prières de sa fille, car parmi les personnes qui s’éprirent d’amour pour elle, nous ne voyons que des officiers domestiques de la maison paternelle. Deux, entre autres, M. de Saint-Georges, gentilhomme du comte, et Fargue, son valet de chambre, trouvèrent dans cette passion commune pour la fille de leur maître une occasion de rivalité qui eut un dénoûment tragique. Fargue, jaloux de la supériorité de son rival, avait tenu quelques discours sur son compte. M. de Saint-Georges l’apprend, appelle Fargue, lui remontre sa faute, et lui donne, en fin de compte, tant de coups de plat d’épée, que son arme en reste tordue. Plein de fureur, Fargue parcourt l’hôtel, cherchant une épée. Il rencontre le baron d’Haraucourt, frère d’Angélique : lui arrachant son épée, il court la plonger dans la gorge de son rival, que l’on relève expirant. Le chirurgien n’arrive que pour dire à Saint-Georges : « Criez merci à Dieu, car vous êtes mort. » Pendant ce temps, Fargue s’était enfui.