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LES FILLES DU FEU

croyant que je ne m’en pouvais plus dédire ; mais l’amour, qui est la reine[1] de toutes les passions, se moqua bien de la charge, car lorsque je vis que mon mari faisait son préparatif pour s’en aller, il me fut impossible de penser seulement de vivre sans lui. »

Au dernier moment, pendant que le lieutenant-colonel se réjouissait déjà du succès de cette ruse, qui lui livrait une femme isolée de son mari, — Angélique se décida à suivre La Corbinière à Inspruck. « Ainsi, dit-elle, l’amour nous ruina en Italie aussi bien qu’en France, quoiqu’en celle d’Italie je n’y avais point de coulpe (faute). »

Les voilà partis de Vérone avec un nommé Boyer, auquel La Corbinière avait promis de faire sa dépense jusqu’en Allemagne, parce qu’il n’avait point d’argent. (Ici, La Corbinière se relève un peu.) À vingt-cinq milles de Vérone, à un lieu où, par le lac, on va à la rive de Trente, Angélique faiblit un instant, et pria son mari de revenir vers quelque ville du bon pays vénitien, — comme Brescia. — Cette admiratrice de Pétrarque quittait avec peine ce doux pays d’Italie pour les montagnes brumeuses qui cernent l’Allemagne. « Je pensais bien, dit-elle, que les cinquante pistoles qui nous restaient ne nous dureraient guère ; mais mon amour était plus grand que toutes ces considérations. »

Ils passèrent huit jours à Inspruck, où le duc de Feria passa, et dit à La Corbinière qu’il fallait aller plus loin pour trouver de l’emploi, — dans une ville nommée Fisch. Là Angélique eut un grand flux de sang, et l’on appela une femme, qui lui fit comprendre « qu’elle s’était gâtée

  1. L’amour se disait au féminin à cette époque.