Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/12

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promenait mélancoliquement dans sa chambre, lorsqu’au milieu de sa marche l’aspect de sa figure reproduite le fit s’arrêter tout à coup. Forcé, dans cet instant de veille, de croire à son individualité réelle, trop confirmée par les triples murs de sa prison, il crut voir tout à coup le roi venir à lui, d’abord d’une galerie éloignée, et lui parler par un guichet comme compatissant à son sort, sur quoi il se hâta de s’incliner profondément. Lorsqu’il se releva, en jetant les yeux sur le prétendu prince, il vit distinctement l’image se relever aussi, signe certain que le roi l’avait salué, ce dont il conçut une grande joie et honneur infini. Alors il s’élança dans d’immenses récriminations contre les traîtres qui l’avaient mis dans cette situation, l’ayant noirci sans doute près de Sa Majesté. Il pleura même, le pauvre gentilhomme, en protestant de son innocence, et demandant à confondre ses ennemis ; ce dont le prince parut singulièrement touché ; car une larme brillait en suivant les contours de son nez royal. À cet aspect un éclair de joie illumina les traits de Spifame ; le roi souriait déjà d’un air affable ; il tendit la main ; Spifame avança la sienne, le miroir, rudement frappé, se détacha de la muraille, et roula à terre avec un bruit terrible qui fit accourir les gardiens.

La nuit suivante, ordre fut donné par le pauvre fou, dans son rêve, d’élargir aussitôt Spifame, injustement détenu, et faussement accusé d’avoir voulu, comme favori, empiéter sur les droits et attributions du roi, son maître et son ami : création d’un haut office de directeur du sceau royal[1] en faveur dudit Spifame, chargé désormais de conduire à bien les choses périclitantes du

  1. Voir les Mémoires de la Société des inscriptions et belles-lettres, tome XXIII