Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/162

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jusqu’au lendemain. Quelquefois, lorsque les demoiselles étaient couchées, il venait dans la rue déserte avec son ami Loiseau, qui jouait fort bien du luth, et ils exécutaient les airs d’opéra les plus nouveaux, tels que : L’Amour m’a fait la peinture, ou bien : Dans ce charmant asile, — choisissant de préférence les couplets où se trouvait le mot Zéphir… L’amour fait de l’esprit comme il peut.

Leurs promenades du dimanche avaient lieu le plus souvent aux buttes Montmartre. Un jour, ils furent suivis par trois mousquetaires jusque chez un traiteur où ils allaient dîner. — L’un de ces derniers reconnut Zéfire pour l’avoir vue rue Saint-Honoré. La trouvant en compagnie de simples ouvriers endimanchés, ils voulurent la leur enlever. Heureusement, le fruitier les avait accompagnés, ce qui rendait la partie égale, sauf les épées, dont Nicolas et Loiseau étaient dépourvus. En revanche, le fruitier, prévoyant l’attaque, avait saisi une longue broche dans la cuisine du traiteur. — Prends garde à toi, drôle, dit l’un des mousquetaires menacé par cet instrument, nous sommes des gentilshommes, et nous te ferons fourrer au Châtelet. — Vous déshonorez votre famille et l’habit militaire ! criait Nicolas… — Il s’agit bien d’honneur !… C’est la Zéfire qui est avec vous : eh bien ! demandez-lui si elle ne préfère pas un seigneur à un ouvrier ?… Nous avons de l’or, la belle ! ajoutait le mousquetaire en faisant sonner sa poche.

La querelle tournait à la discussion, grâce à l’attitude des trois défenseurs ; mais ces dernières paroles mirent Loiseau hors de lui : « Infâme ! s’écria-t-il, vous venez de commettre un grand crime… vous avez profané le retour à la vertu ! » Quant à Nicolas, il s’était saisi d’une chaise. « Qu’est-ce que c’est que cela ? dit un des mousquetaires plus aviné que les autres, une vertu qui sort… du vice ?