Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/184

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aimante (Mme  Parangon), et tout ce que j’aimais est ainsi dans le tombeau !…

— Et moi, est-ce que je ne t’aimerais pas comme elles ? disait Sara attendrie.

— Quelque temps peut-être ; mais après ?

— Mon ami, ne parle plus ainsi… Songe que je suis impressionnable à l’excès ; ne mets jamais à l’épreuve cette sensibilité qui n’a fait encore que mon supplice.

— Oh ! pardonne, ma fille ! c’est que j’ai beaucoup vécu, beaucoup souffert, et toi…

— Moi, je n’ai que souffert, et je serais plus affectée de ce qui viendrait de ta part que de tout ce qui m’est arrivé.

Ils s’étaient placés dans la salle. On jouait justement la Pupille de Fagan, où Mlle  Guéant avait été si ravissante de sentiment et de grâce. Nicolas, comme tous les esprits pleins d’orgueil, croyait toujours à quelque fatalité qui, relativement à lui seul, prenait la place du hasard. Il ne pouvait s’empêcher cette fois de trouver la pièce détestable, l’actrice déplaisante, et ne remarquait pas que, dans la loge voisine de la sienne, il venait d’entrer une très jolie femme qui avait les plus beaux cheveux cendrés (on commençait alors à ne plus porter la poudre), un bel œil sous un sourcil noir, et des manières pleines de distinction. Sara la lui fit remarquer. « Elle est bien, dit-il, mais comme vous êtes plus belle ! » Cette femme, se voyant l’objet de l’admiration de Sara, saisit une occasion pour lui dire quelque chose d’obligeant. Celle-ci répondit avec froideur. Nicolas s’en étonnant, elle lui dit à l’oreille : « Je suis très jalouse. Si j’avais lié conversation avec elle, tu aurais pu lui parler, et tu as trop de mérite pour ne pas lui plaire… » Nicolas répondit plein de joie : « Mais qui pourrait me plaire à moi, si ce n’est Sara ? »