Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/185

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Après cette soirée délicieuse, la difficulté étant d’affronter la colère de Mme Léeman, Nicolas eut l’idée la plus triomphante en pareil cas : ce fut d’acheter une paire de pendeloques assez belles chez un bijoutier de la rue de Bussy. La précaution n’était pas inutile, car en entrant Nicolas et Sara trouvèrent devant la porte l’infortuné Florimond, que la veuve avait mis dehors en le voyant revenir seul. Dégrisé par la scène d’imprécations qu’il avait subie, il se livrait au désespoir. Nicolas affronta bravement l’orage, qu’il parvint à calmer en faisant briller entre ses doigts sa récente acquisition. Tout rentra dans l’ordre habituel.

La mère était toutefois décidée à ne point admettre qu’on prît du plaisir en son absence. « Puisque Sara a besoin de distraction, dit-elle un jour, je la conduirai à la promenade sur les Grands Boulevards. » Elles partirent donc pour s’y rendre par une belle soirée de printemps. Nicolas, retenu jusqu’à sept heures à son imprimerie, devait les aller rejoindre. Il les retrouva assises sur des chaises dans une contre-allée, faisant partie de deux ou trois rangées de femmes élégantes et très remarquées. Un homme mis avec soin, fort brun, et qui paraissait un créole, s’était assis près d’elles, et avait déjà noué une conversation assez soutenue avec la mère. Sara semblait sérieuse ; — elle sourit en apercevant Nicolas, et lui fit place près d’elle. Le cavalier ne tarda pas à saluer ses nouvelles connaissances, et reprit sa promenade.

Deux ou trois jours après, une affaire importante empêcha Nicolas d’aller retrouver les dames à l’heure habituelle. Mme Léeman lui dit en raillant que le cavalier brun leur avait tenu compagnie. La même circonstance se reproduisit l’un des jours suivants. Sara prit Nicolas à part en rentrant et lui dit : « Vous m’abandonnez à des vues