Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/186

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que vous n’ignorez pas… Ah ! mon ami ! » Quelques jours plus tard, Mme Léeman parla d’une occasion qui se présentait pour marier sa fille à un homme de condition. Ce fut un coup de poignard pour l’écrivain, qui, comme on sait, était marié, bien que séparé depuis longtemps de l’indigne Agnès Lebègue. Il répondit en soupirant que le bonheur de Sara était pour lui au-dessus de tout, mais qu’il espérait que le prétendu serait digne d’elle. Le lendemain, comme il était indisposé, il vit se glisser sous sa porte une lettre ainsi conçue :

« On veut absolument que ta fille sorte aujourd’hui sans toi, cher bon ami !… Il faut souffrir ce qu’on ne saurait empêcher. Tâche de guérir ton rhume et de te bien porter… Si tu pouvais me trouver une place près d’une dame ou seulement de l’ouvrage, j’aurais de la fermeté pour résister, et je vivrais satisfaite comme on peut l’être dans ma position. Aime toujours ton amie.

» Sara. »

Dès ce jour, Nicolas alla rendre visite à une dame de condition qui habitait l’île Saint-Louis, et dont il a parlé souvent dans ses Nuits de Paris. Cette dernière consentit à recevoir Sara comme demoiselle de compagnie. En rentrant, il rencontra la mère et la fille en voiture. Mme Léeman lui cria qu’elles allaient au Palais-Royal, qu’il n’avait qu’à les venir rejoindre comme à l’ordinaire. Rassuré sur les sentiments de Sara par sa lettre, il eut l’imprudence de ne pas se presser. Quand il arriva, elles étaient parties.

Nicolas retourne à la maison ; point de lumière… Le cadenas de la porte n’est point ôté. Il monte chez lui, se consume d’impatience, se promène à grands pas, et sort de temps en temps pour aller au-devant des deux femmes.