Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/19

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Ils se mirent à desceller les barreaux par le bas, lentement, mais faisant disparaître à mesure toutes les traces de leur travail, et cela fut d’autant plus aisé qu’on les connaissait tranquilles, patients et heureux de leur destinée. Les préparatifs terminés, l’imprimerie fut rouverte, les libelles de quatre lignes, les proclamations incendiaires, les poésies privilégiées firent partie du bagage, et, vers minuit, Spifame ayant adressé une courte mais vigoureuse allocution à son confident, ce dernier attacha les draps du prince à un barreau resté intact, y glissa le premier, et releva bientôt Spifame qui, aux deux tiers de la descente, s’était laissé tomber dans l’herbe épaisse, non sans quelques contusions. Vignet ne tarda pas dans l’ombre à trouver le vieux mur qui donnait sur la campagne ; plus agile que Spifame, il parvint à en gagner la crête, et tendit de là sa jambe à son gracieux souverain, qui s’en aida beaucoup, appuyant le pied au reste des pierres descellées du mur. Un instant après le Rubicon était franchi.

Il pouvait être trois heures du matin quand nos deux héros en liberté gagnèrent un fourré de bois, qui pouvait les dérober longtemps aux recherches ; mais ils ne songeaient pas à prendre des précautions très minutieuses, pensant bien qu’il leur suffirait d’être hors de captivité pour être reconnus, l’un de ses sujets, l’autre de ses admirateurs.

Toutefois, il fallut bien attendre que les portes de Paris fussent ouvertes, ce qui n’arriva pas avant cinq heures du matin. Déjà la route était encombrée de paysans qui apportaient leurs provisions aux marchés. Raoul trouva prudent de ne pas se dévoiler avant d’être parvenu au cœur de sa bonne ville ; il jeta un pan de son manteau sur sa moustache, et recommanda à Claude Vignet de voi-