Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/274

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colaï, vous mourrez sur l’échafaud ; vous, monsieur Bailly, sur l’échafaud…

— Ah ! Dieu soit béni ! dit Roucher, il paraît que Monsieur n’en veut qu’à l’Académie ; il vient d’en faire une terrible exécution ; et moi, grâce au ciel…

— Vous ! vous mourrez aussi sur l’échafaud.

— Oh ! c’est une gageure, s’écrie-t-on de toute part, il a juré de tout exterminer.

— Non, ce n’est pas moi qui l’ai juré.

— Mais nous serons donc subjugués par les Turcs et les Tartares ? et encore ?…

— Point du tout, je vous l’ai dit : vous serez alors gouvernés par la seule philosophie, par la seule raison. Ceux qui vous traiteront ainsi seront tous des philosophes, auront à tout moment dans la bouche toutes les mêmes phrases que vous débitez depuis une heure, répéteront toutes vos maximes, citeront tout comme vous les vers de Diderot et de la Pucelle… »

On se disait à l’oreille : « Vous voyez bien qu’il est fou (car il gardait le plus grand sérieux). Est-ce que vous ne voyez pas qu’il plaisante ? et vous savez qu’il entre toujours du merveilleux dans ses plaisanteries.

— Oui, reprit Chamfort ; mais son merveilleux n’est pas gai ; il est trop patibulaire. Et quand tout cela se passera-t-il ?

Six ans ne se passeront pas que tout ce que je vous dis ne soit accompli…

— Voilà bien des miracles (et cette fois c’était moi-même qui parlais) ; et vous ne m’y mettez pour rien ?

— Vous y serez pour un miracle tout au moins aussi extraordinaire : vous serez alors chrétien. Grandes exclamations. Ah ! reprit Chamfort, je suis rassuré ; si nous ne devons périr que quand La Harpe sera chrétien, nous sommes immortels.