Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/279

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— Et moi, dit l’adversaire, si j’avais seulement mes mains… Et d’ailleurs, me disait-il, vous pouvez vous apercevoir que ce qu’il dit ne saurait passer le nœud de la gorge.

— Mais, disais-je, ces disputes-ci vont trop loin…

— Eh ! non, laissez-nous faire ; ne vaut-il pas mieux se quereller que de bâiller ? A quoi peuvent s’occuper des gens qui n’ont que des oreilles et des yeux, qui vivent ensemble face à face depuis un siècle, qui n’ont nulle relation ni n’en peuvent former d’agréables, à qui la médisance même est interdite, faute de savoir de qui parler pour se faire entendre, qui…

» Il en eût dit davantage ; mais voilà que tout à coup il nous prend une violente envie d’éternuer tous ensemble ; un instant après, une voix rauque, partant on ne sait d’où, nous ordonne de chercher nos membres épars ; en même temps nos têtes roulent vers l’endroit où ils étaient entassés. »

N’est-il pas singulier de rencontrer dans un poème héroï-comique de la jeunesse de l’auteur, cette sanglante rêverie de têtes coupées, de membres séparés du corps, étrange association d’idées qui réunit des courtisans, des guerriers, des femmes, des petits-maîtres, dissertant et plaisantant sur des détails de supplice comme le feront plus tard à la Conciergerie ces seigneurs, ces femmes, ces poètes, contemporains de Cazotte, dans le cercle desquels il viendra à son tour apporter sa tête, en tâchant de sourire et de plaisanter comme les autres des fantaisies de cette fée sanglante, qu’il n’avait pas prévu devoir s’appeler un jour la Révolution !