Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la France, dans son génie et dans sa force ; si bien que les dernières batailles les plus émouvantes ont eu lieu entre Fénelon et Bossuet ! Le premier soutenait « que l’amour de Dieu et du prochain peut être pur et désintéressé ». L’autre, « que la charité, en tant que charité, doit toujours être fondée sur l’espérance de la béatitude éternelle ». Grave question, Messieurs !

Un immense éclat de rire, parti de tous les points du cabaret, accueillit cette observation. Archambault baissa la tête et mangea sa soupe sans dire un mot de plus.

Le capitaine lui frappa sur l’épaule :

— Qu’est-ce que vous pensez des extases de Mme Guyon ?

— Fénelon l’a jugée sainte, et Bossuet, qui l’avait attaquée d’abord, n’est pas éloigné de la croire au moins inspirée.

— Mon cavalier, dit le capitaine, je vous soupçonne de vous occuper quelque peu de théologie.

— J’y ai renoncé… Je suis devenu un simple quiétiste, depuis surtout que j’ai lu dans un livre intitulé le Mépris du Monde : « Il est plus profitable pour l’homme de se cultiver lui-même en vue de Dieu que de cultiver la terre, qui ne nous est de rien. »

— Mais, dit le capitaine, cette maxime est assez suivie dans ce temps-ci… Qui est-ce qui cultive ?… On se bat, on chasse, on fait un peu de faux-saulnage… ; on introduit des marchandises d’Allemagne et d’Angleterre, on vend des livres prohibés. Ceux qui ont de l’argent spéculent sur les bons des fermes ; mais la culture, c’est un travail de fainéants !

Archambault comprenait l’ironie de ce discours : « Messieurs, dit-il, je suis entré ici par hasard ; mais je ne sais pourquoi je me sens l’un des vôtres… Je suis un de ces fils de grandes familles militaires qui ont lutté contre les