Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/38

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Et ce n’était pas peu de chose alors que ces pointes philosophiques aiguisées par les disciples de Descartes et de Gassendi. Ce parti était fortement surveillé ; mais grâce à la protection de quelques grands seigneurs, tels que d’Orléans, Conti et Vendôme ; grâce aussi à ces formes spirituelles et galantes, qui séduisent même la police ou qui l’abusent aisément, les néo-frondeurs étaient généralement laissés en paix, seulement la cour pensait les flétrir en les appelant : la cabale.

Fontenelle, Jean-Baptiste Rousseau, Lafare, Chaulieu s’étaient montrés par moment au café Laurent. Molière y avait paru antérieurement ; Boileau était trop vieux. Les anciens habitués parlaient là de Molière, de Chapelle et de ces soupers d’Auteuil, qui avaient été le centre des premières réunions.

La plupart des habitués du café étaient encore les commensaux de cette belle Ninon, qui habitait rue des Tournelles et qui mourut à quatre-vingt-six ans, laissant une pension de deux mille livres au jeune Arouet, lequel lui avait été présenté par l’abbé de Châteauneuf, son dernier amoureux.

L’abbé de Bucquoy avait depuis longtemps quelques amis parmi les gens de la cabale. Il attendit leur sortie ; et, feignant d’être un pauvre, il s’adressa à l’un d’eux, le prit à part et lui dépeignit sa position… L’autre l’emmena chez lui, l’habilla et le cacha dans un asile sûr, d’où l’abbé put avertir sa tante et recevoir l’aide nécessaire. Du fond de sa retraite, il adressa plusieurs suppliques au Parlement, afin que son affaire y fût renvoyée. Sa tante elle-même remit des placets au roi. Mais aucune décision ne fut prise, bien que l’abbé de Bucquoy offrît de se remettre dans les prisons de la Conciergerie, s’il pouvait être assuré que son affaire serait traitée juridiquement.