Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/58

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moi qu’une bouteille d’un demi-setier, tandis que le nouveau a une bouteille entière ?

— Parce que, dit Ru, vous êtes à cinq livres, tandis que M. le comte de Bucquoy a la pistole.

— Comment ! on ne peut pas avoir un ordinaire d’une bouteille avec cinq livres ? s’écria le baron. Faites revenir cet infâme sous-gargottier de Corbé, et demandez-lui si un honnête homme peut se contenter à dîner d’un demi-setier de mauvais vin ! Si je vois reparaître cette bouteille, je vous la casserai sur la tête !

— Monsieur le baron, dit Ru, calmez-vous, et gardez-vous de désirer le retour de M. Corbé qui vous ferait mettre immédiatement au cachot… Or, c’est son intérêt, car la nourriture d’un prisonnier au cachot ne représente qu’un sou par jour, le logement n’étant pas compté parce que c’est le roi qui le fournit… Quant à l’économie sur la nourriture, elle entre dans la poche de M. Corbé pour un tiers, et pour le reste dans celle de M. Bernaville !

Ru, comme on le voit, était un homme conciliant, les prisonniers ne lui reprochaient que de faire disparaître quelquefois certains accessoires du service, notamment les petits pâtés, dont il était friand. — Il avait pour lui la desserte, ce qui eût dû le rendre plus modéré à cet égard.

Renneville et l’abbé de Bucquoy déclarèrent qu’ils buvaient très peu de vin et en versèrent au baron de Peken, qui finit par dîner tranquillement. Renneville raconta les ennuis qu’il avait subis dans une chambre isolée, où un emportement du même genre l’avait fait reléguer, et l’invention piquante qu’il avait eue pour correspondre avec des prisonniers placés au-dessus et au-dessous de lui.

C’était un alphabeth des plus simples qu’il avait créé,