Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/59

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et qui consistait à frapper, avec un bâton de chaise, en comptant un coup pour a, deux coups pour b… ainsi de suite. Les voisins finissaient par comprendre et répondaient de la même manière, seulement c’était long. Voici comment, par exemple, on rendait le mot Monsieur :

M (13 coups), o (15), n (14), s (19), i (9), e (5), u (21), r (18).

Il avait pu ainsi connaître les noms de tous ses compagnons de la même tour, à l’exception de celui d’un abbé qui n’avait jamais voulu se faire connaître.

En prison, l’on ne parle que de prison, ou des moyens d’en tromper les douleurs. De Falourdet raconta comment il était parvenu à communiquer avec un prisonnier de ses amis, d’une façon non moins ingénieuse que celle de l’alphabeth inventé par Renneville. Il avait été logé dans une de ces chambres supérieures des tours qu’on appelait calottes, et qui avaient l’inconvénient d’être aussi chaudes en été que froides en hiver. Par exemple, on y jouissait d’une belle vue. Avant d’être séparé de son ami, M. de la Baldonnière (retenu à la Bastille pour avoir trouvé le secret de faire de l’or et ne l’avoir pas voulu communiquer aux ministres), il avait appris que ce dernier demeurait au rez-de-chaussée de la même tour, donnant sur le petit jardin pratiqué dans un bastion. Il s’était fabriqué des plumes avec des os de pigeon, de l’encre avec du noir de fumée délayé, et il écrivait des lettres qu’il jetait par sa fenêtre et qui tombaient au pied de la tour, à l’aide du poids d’une petite pierre.

La Baldonnière, de son côté, avait dressé une chienne du gouverneur qui se promenait souvent dans le jardin, à lui rapporter aux grilles de sa fenêtre les papiers qui pouvaient s’y trouver. En lui jetant d’abord, roulés, des débris de son déjeuner, il s’était fait de cet animal une