Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/93

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monde a remarqué la bizarre orthographe et les excentricités calculées. Il avait pour système d’employer dans le même volume des caractères de diverse grosseur, qu’il variait selon l’importance présumée de telle ou telle période. Le cicéro était pour la passion, pour les endroits à grand effet, la gaillarde pour le simple récit ou les observations morales, le petit-romain concentrait en peu d’espace mille détails fastidieux, mais nécessaires. Quelquefois il lui plaisait d’essayer un nouveau système d’orthographe ; il en avertissait tout à coup le lecteur au moyen d’une parenthèse, puis il poursuivait son chapitre, soit en supprimant une partie des voyelles, à la manière arabe, soit en jetant le désordre dans les consonnes, remplaçant le c par l’s, l’s par le t, ce dernier par le ç, etc., toujours d’après des règles qu’il développait longuement dans ses notes. Souvent, voulant marquer les longues et les brèves à la façon latine, il employait, dans le milieu des mots, soit des majuscules, soit des lettres d’un corps inférieur ; le plus souvent il accentuait singulièrement les voyelles, et abusait surtout de l’accent aigu. Cependant aucune de ces excentricités ne rebutait les innombrables lecteurs du Paysan perverti, des Contemporaines ou des Nuits de Paris ; c’était désormais le conteur à la mode, et rien ne peut donner une idée de la vogue qui s’attachait aux livraisons de ses ouvrages, publiés par demi-volumes, sinon le succès qu’ont obtenu naguère chez nous certains romans-feuilletons. C’était ce même procédé de récit haletant, coupé de dialogues à prétentions dramatiques, cet enchevêtrement d’épisodes, cette multitude de types dessinés à grands traits, de situations forcées, mais énergiques, cette recherche continuelle des mœurs les plus dépravées, des tableaux les plus licencieux que puisse offrir une grande capitale dans une époque