Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/242

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vous nous donnez, l’impuissance attachée à nos propres écrits, vos airs protecteurs et vos ordres sous l’apparence de conseils.

Non loin de cet appartement se passait une autre scène plus intéressante. Les dames aux rubans lilas s’y trouvèrent avec leurs soupirants ordinaires. Leur début fut de leur signifier le congé le plus absolu. Cette chambre avait trois portes qui donnaient dans des jardins qu’éclairait alors la douce lumière de la lune. Ils les invitèrent à y descendre. Elles accordèrent cette dernière faveur à des hommes désolés. Une d’entre elles, que nous nommerons Léonore, cachait mal le trouble de son âme et suivait le comte Gédéon qu’elle avait aimé jusque-là.

— De grâce, daignez m’apprendre mes crimes ! disait-il. Est-ce un perfide que vous abandonnez ? Qu’ai-je fait depuis deux jours ? Mes sentiments, mes pensées, mon existence, mon sang, tout n’est-il pas à vous ? Vous ne pouvez être inconstante ! Quelle espèce de fanatisme vient donc m’enlever un cœur qui m’a coûté tant de tourments ?

— Ce n’est pas vous que je hais, répondit-elle, c’est votre sexe ; ce sont vos lois tyranniques, cruelles !

— Hélas ! de ce sexe proscrit aujourd’hui, vous n’avez encore connu que moi. Où donc est mon despotisme ; quand ai-je eu le malheur d’affliger ce que j’aime ?

Léonore soupirait et ne savait pas accuser celui qu’elle adorait. Il veut prendre une de ses mains.

— Si vous m’aimez, lui dit-elle, gardez-vous de souiller ma main par un baiser profane. Je crois bien que je ne pourrai jamais vous quitter. Mais, pour preuve de cette obéissance à laquelle vous voulez que je croie, restez neuf jours sans me voir et croyez que ce sacrifice ne sera pas perdu pour mon cœur.

Gédéon s’éloigna ; et ne pouvant soupçonner, ni n’osant se plaindre, il s’en alla réfléchir sur les causes de son malheur.

Il serait trop long de raconter tout ce qui se passa dans ces deux heures d’épreuves. Il est certain que ni les raisonnements, ni les sarcasmes, ni les larmes, ni le désespoir, ni les promesses, enfin tout ce que la séduction emploie, ne