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— L’avez-vous vu ?

— Non ; mais, des fantômes, cela ne se voit pas à la chandelle.

— Eh bien, nous essayerons demain sans lumière.

— Monsieur, vous pourrez bien essayer tout seul…

Après mûre réflexion, le conservateur se décide à ne pas essayer de voir le fantôme, et probablement on fit dire une messe pour le vieux bibliophile, car le fait ne se renouvela plus.

Et j’irais, moi, tirer cette même sonnette !… Qui sait si ce n’est pas le fantôme qui m’ouvrira ?

Cette bibliothèque est, d’ailleurs, pleine pour moi de tristes souvenirs ; j’y ai connu trois conservateurs, dont le premier était l’original du fantôme supposé ; le second, si spirituel et si bon… qui fut un de mes tuteurs littéraires[1] ; le dernier, qui me révélait si complaisamment ses belles collections de gravures, et à qui j’ai fait présent d’un Faust illustré de planches allemandes !… Non, je ne me déciderai pas facilement à retourner à l’Arsenal.

D’ailleurs, nous avons encore à visiter les vieux libraires. Il y a France ; il y a Merlin ; il y a Techener…

M. France m’a dit :

— Je connais bien le livre ; je l’ai eu dans les mains dix fois… Vous pouvez le trouver par hasard sur les quais : je l’y ai trouvé pour dix sous.

Courir les quais plusieurs jours pour un livre noté comme rare… J’ai mieux aimé aller chez Merlin.

— Le Bucquoy ? me dit son successeur. Nous ne connaissons que cela ; j’en ai même un sur ce rayon…

Il est inutile d’exprimer ma joie. Le libraire m’apporta un livre in-12, du format indiqué ; seulement, il était un peu gros (649 pages).

Je trouvai, en l’ouvrant, ce titre, en regard d’un portrait : « Éloge du comte de Bucquoy. » Autour du portrait, on retrouvait en latin : COMES A. BVCQVOY.

  1. Charles Nodier.