Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/359

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» — Avez-vous force d’argent ?

» À quoi il répondit :

» — J’ai tant.

» Mon père, non content, prit un couteau sur la table, parce que le couvert était mis, et, se jetant sur lui pour le blesser, ma mère et moi y accourûmes ; mais déjà celui qui devait être cause de tant de peine s’était blessé lui-même au doigt en voulant ôter le couteau à mon père… Et encore qu’il eût reçu ce mauvais traitement, l’amour qu’il avait pour moi l’empêchait de s’en aller, comme était son devoir.

» Huit jours se passèrent que mon père ne lui disait ni bien ni mal, pendant lequel temps il me sollicitait par lettres de prendre résolution de nous en aller ensemble, à quoi je n’étais encore résolue ; mais, les huit jours étant passés, mon père lui dit dans le jardin :

» — Je m’étonne de votre effronterie, que vous restiez encore dans ma maison après ce qui s’est passé ; allez-vous-en vitement, et ne venez jamais à pas une de mes maisons, car vous ne serez jamais le bienvenu.

» Il s’en vint donc vitement faire seller un cheval qu’il avait et monta à sa chambre pour y prendre ses hardes ; il m’avait fait signe de monter à la chambre d’Haraucourt, où, dans l’antichambre, il y avait une porte fermée, où l’on pouvait néanmoins parler. Je m’y en allai vitement et il me dit ces paroles :

» — C’est cette fois qu’il faut prendre résolution, ou bien vous ne me reverrez jamais.

» Je lui demandai trois jours pour y penser ; il s’en alla donc à Paris et revint au bout de trois jours à Verneuil, pendant lequel temps je fis tout ce que je pus pour me pouvoir résoudre à laisser cette affection ; mais il me fut impossible, encore que toutes les misères que j’ai souffertes se présentèrent devant mes yeux avant de partir. L’amour et le désespoir passèrent sur toutes ces considérations ; me voilà donc résolue. »