Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/364

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Le jour venu, ils se mirent dans le bateau jusqu’à Essonne, où la demoiselle se trouva tellement lasse, qu’elle dit à La Corbinière :

— Allez, vous, toujours devant m’attendre à Lyon, avec la vaisselle.

Ils restèrent trois jours à Essonne, d’abord pour attendre le coche, puis pour guérir les écorchures que la demoiselle s’était faites aux cuisses en courant à franc étrier.

Passé Moulins, un homme qui était dans le coche et qui se disait gentilhomme, commença à dire ces paroles :

— N’y a-t-il pas une demoiselle vêtue en homme ?

À quoi La Corbinière répondit :

— Oui-da, monsieur… Pourquoi avez-vous quelque chose à dire là-dessus ? Ne suis-je pas maître de faire habiller ma femme comme il me plaît ?

Le soir, ils arrivèrent à Lyon, au Chapeau rouge, où ils vendirent la vaisselle pour trois cents écus ; sur quoi, La Corbinière se fit faire, « encore qu’il n’en eût du tout besoin, un fort bel habit d’écarlate, avec les aiguillettes d’or et d’argent. »

Ils descendirent sur le Rhône, et, s’étant arrêtés le soir à une hôtellerie, La Corbinière voulut essayer ses pistolets. Il le fit si maladroitement, qu’il adressa une balle dans le pied droit d’Angélique de Longueval, et il dit seulement à ceux qui le blâmaient de son imprudence :

— C’est un malheur qui m’est arrivé… je puis dire à moi-même, puisque c’est ma femme.

Angélique resta trois jours au lit ; puis ils se remirent dans la barque du Rhône, et purent atteindre Avignon, où Angélique se fit traiter pour sa blessure, et, ayant pris une nouvelle barque lorsqu’elle se sentit mieux, ils arrivèrent enfin à Toulon le jour de Pâques.

Une tempête les accueillit en sortant du port pour aller à Gènes ; ils s’arrêtèrent dans un havre, au château dit de Saint-Soupir, dont la dame, les voyant sauvés, fit chanter le Salve