Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/365

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Regine. Puis elle leur fit faire collation à la mode du pays, avec olives et câpres, et commanda que l’on donnât à leur valets des artichauts.

« Voyez, dit Angélique, ce que c’est de l’amour ; encore que nous étions à un lieu qui n’était habité par personne, il fallut y jeûner les trois jours que nous attendîmes le bon vent. Néanmoins, les heures me semblaient des minutes, encore que j’étais bien affamée. Car, à Villefranche, peur de la peste, ils ne voulurent nous laisser prendre des vivres. Ainsi, tous bien affamés, nous fîmes voiles ; mais, auparavant, de crainte de faire naufrage, je me voulus confesser à un bon père cordelier qui était en notre compagnie, et lequel venait à Gènes aussi.

» Car mon mari (elle l’appelle toujours ainsi depuis ce moment), voyant entrer dans notre chambre un gentilhomme génois, lequel écorchait un peu le français, lui demanda :

» — Monsieur, vous plaît-il quelque chose ?

» — Monsieur, dit ce Génois, je voudrais bien parler à madame.

» Mon mari, tout d’un temps, mettant l’épée à la main, lui dit :

» — La connaissez-vous ? Sortez d’ici ! car, autrement, je vous tuerai.

» Incontinent, M. Audiffret nous vint voir, lequel lui conseilla de nous en aller le plus promptement qu’il se pourrait, parce que ce Génois, très-assurément, lui ferait faire du déplaisir.

» Nous arrivâmes à Civita-Vecchia ; puis à Rome, où nous descendîmes à la meilleure hôtellerie, attendant de trouver la commodité de se mettre en chambre garnie, laquelle on nous fit trouver en la rue des Bourguignons, chez un Piémontais, duquel la femme était Romaine. Et, un jour, étant à sa fenêtre un neveu de Sa Sainteté, passant avec dix-neuf estafiers, en envoya un qui me dit ces paroles en italien :

» — Mademoiselle, Son Éminence m’a commandé de venir savoir si vous aurez agréable qu’il vous vienne voir.