Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/374

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lui dit qu’en attendant une compagine, il lui donnerait une lieutenance, et qu’il allaot mettre mademoiselle de Longueval dans le carosse de sa sœur, qui était mariée au premier capitaine de son régiment.

Le malheur ne se lassait pas de frapper les nouveaux époux. La Corbinière prit la fièvre, et il fallut le soigner. Il y a de bonnes gens partout : Angélique ne se plaint que d’avoir été promenée, « tantôt à un lieu, tantôt à un autre, » par le malheur de la guerre, à la façon des Égyptiennes ; ce qui ne pouvait lui plaire, encore qu’elle eût plus de sujets de se contenter que pas une femme, puisqu’elle était la seule qui mangeât à la table du colonel avec seulement sa sœur, « Et le colonel encore montrait trop de bonté à La Corbinière, — en ce qu’il lui donnait les meilleurs morceaux de la table… à cause qu’il le voyait malade. »

Une nuit, les troupes étant en marche, le meilleur logement qu’on put offrir aux dames lut une écurie, où il ne fallait coucher qu’habillé, à cause de la crainte de l’ennemi. « En me réveillant au milieu de la nuit, dit Angélique, je ressentis un si grand frais, que je ne pus m’empêcher de dire tout haut : « Mon Dieu ! je meurs de frais ! » Le colonel allemand lui jeta alors sa casaque, se découvrant lui-même, car il n’avait pas autre chose sur son uniforme.

Ici arrive une observation bien profonde :

« Tous ces honneurs, dit-elle, pouvaient bien arrêter une Allemande, mais non pas les Françaises, à qui la guerre ne peut plaire. »

Rien n’est plus vrai que cette observation. Les femmes allemandes sont encore celles de l’époque des Romains. Trusnelda combattait avec Hermann. À la bataille des Cimbres, où vainquit Marius, il y avait autant de femmes que d’hommes.

Les femmes sont courageuses dans les événements de famille, devant la souffrance, devant la mort. Dans nos troubles civils, elles portent des drapeaux sur les barricades ; elles portent vaillamment leur tête à l’échafaud. Dans les pro-