Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/392

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Nous avions parcouru une route qui aboutit aux bois et au château de Mont-l’Évêque. Des étangs brillaient çà et là à travers les feuilles rouges relevées par la verdure sombre des pins. Sylvain me chanta ce vieil air du pays :


Courage ! mon ami, courage !
Nous voici près du village.
À la première maison,
Nous nous rafraîchirons !


On buvait dans le village un petit vin qui n’était pas désagréable pour des voyageurs. L’hôtesse nous dit, voyant nos barbes :

— Vous êtes des artistes… Vous venez donc pour voir Châalis ?

Châalis ! à ce nom, je me ressouvins d’une époque bien éloignée… celle où l’on me conduisait à l’abbaye, une fois par an, pour entendre la messe, et pour voir la foire qui avait lieu près de là.

— Châalis ! dis-je. Est-ce que cela existe encore ?

— Mais, mon enfant, on a vendu le château, l’abbaye, les ruines, tout ! Seulement, ce n’est pas à des personnes qui voudraient les détruire… Ce sont des gens de Paris qui ont acheté le domaine, et qui veulent faire des réparations. La dame a déclaré qu’elle dépenserait quatre cent mille francs !

— Ma foi, dit Sylvain, ceux qui dépensent ainsi ont le droit de conserver leur fortune.

— C’est un grand bien pour le pays, dit l’hôtesse.

— À Senlis, dit Sylvain, la révolution a causé d’abord de grandes craintes. Beaucoup ont vendu à vil prix leurs voitures, et leurs chevaux. Il y a eu une personne qui, ne voulant pas conserver sa voiture de peur de se compromettre, l’a donnée pour rien !… On a vendu des couples de chevaux de cent mille francs pour six cents francs !

— J’aurais bien voulu les avoir !

— Les chevaux ?