— Te souviens-tu du temps ou nous parcourions ces bois, quand tes parents te laissaient venir chez nous, où tu avais d’autres parents ?… Quand nous allions tirer les écrevisses des pierres, sous les ponts de la Nonette et de l’Oise…, tu avais soin d’ôter tes bas et tes souliers, et on t’appelait petit Parisien ?
— Je me souviens, lui dis-je, que tu m’as abandonné une fois dans le danger. C’était à un remou de l’Oise, vers Neufmoulin ; je voulais absolument passer l’eau pour revenir par un chemin plus court chez ma nourrice. Tu me dis : « On peut passer. » Les longues herbes et cette écume verte qui surnage dans les coudes de nos rivières me donnèrent l’idée que l’endroit n’était pas profond. Je descendis le premier. Puis je fis un plongeon dans sept pieds d’eau. Alors, tu t’enfuis, craignant d’être accusé d’avoir laissé se noyer le petit Parisien, et résolu à dire, si l’on t’en demandait des nouvelles, qu’il était allé où il avait voulu. — Voilà les amis.
Sylvain rougit et ne répondit pas.
— Mais ta sœur, ta sœur qui nous suivait, — pauvre petite fille ! — pendant que je m’abîmais les mains en me retenant, après mon plongeon, aux feuilles coupantes des iris, se mit à plat ventre sur la rive et me tira par les cheveux de toute sa force.
— Pauvre Sylvie ! dit en pleurant mon ami.
— Tu comprends, répondis-je, que je ne te dois rien…
— Si ; je t’ai appris à monter aux arbres. Vois ces nids de pies qui se balancent encore sur les peupliers et sur les châtaigniers, je t’ai appris à les aller chercher, ainsi que ceux des piverts, situés plus haut au printemps. Comme Parisien, tu étais obligé d’attacher à tes souliers des griffes en fer, tandis que, moi, je montais avec mes pieds nus !
— Sylvain, dis-je, ne nous livrons pas à des récriminations. Nous allons voir la tombe où manquent les cendres de Rousseau. Soyons calmes. Les souvenirs qu’il a laissés ici valent bien ses restes.