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L’abbé penchait pour la contrescarpe voisine du quartier Saint-Antoine ; d’autres étaient d’avis « de passer par la demi-lune dans le fossé qui donne hors de la porte. »

Les avis furent tellement partagés, qu’il fallut nommer un président… On finit par convenir de ce point important qu’une fois dans le fossé, chacun se sauverait à sa mode.

Ce fut le 5 mai à deux heures du matin que l’évasion fut accomplie.

Il fallait, pour soutenir la corde, un crampon avancé hors de la fenêtre qui lui donnât du dégagement. On avait construit l’apparence d’une espèce de cadran solaire, maintenu par un bâton hors de la croisée, afin d’habituer les regards des sentinelles à l’appareil que l’on projetait, il fallut encore teindre les cordes en noir de suie, et les établir sur le crampon avancé hors de la fenêtre. Comme on risquait d’être vu en passant devant l’étage inférieur, on avait eu la précaution de laisser pendre une couverture sous prétexte de la faire sécher.

L’abbé de Bucquoy descendit le premier. On était convenu qu’il surveillerait la marche du factionnaire et avertirait ses camarades au moyen d’un cordon qu’il tirerait pour indiquer le danger ou le moment favorable. Il resta plus de deux heures s’abritant dans les hautes herbes sans voir descendre personne.

Ce qui avait retenu ces pauvres gens, c’est que Grandville, à cause de son épaisseur, ne pouvait passer à travers la brèche faite à la grille, que l’on essayait en vain d’élargir.

Deux des prisonniers finirent par descendre et apprirent à l’abbé de Bucquoy que Grandville s’était sacrifié dans l’intérêt de tous, disant qu’il valait mieux qu’un seul pérît.

L’abbé n’était inquiet que de la sentinelle ; il offrit d’aller la saisir, attendu que sa marche et son retour gênaient singulièrement le projet de franchir la contrescarpe du côté de la rue Saint-Antoine. Ses amis ne furent pas du même avis, et voulurent s’enfuir d’un autre côté en s’aidant de la hauteur des herbes qui les dérobaient aux regards.

L’abbé, qui n’abandonnait jamais une opinion, resta seul