Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/70

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Il voulut entrer dans l’église, où retentissaient les chants de vêpres. Les cordeliers que Gaudet d’Arras avait traités le matin rendaient le plain-chant avec une vigueur inaccoutumée. Nicolas reconnaissait les voix de ses compagnons de table, imprégnées des vins les plus généreux de la Bourgogne ; il entra dans le cimetière pour échapper à ce souvenir, et se prit machinalement à déchiffrer les plus vieilles inscriptions des tombes. L’une d’elles portait en lettres gothiques : Guillain, 1534. En réfléchissant aux deux siècles qui avaient séparé la mort d’un inconnu de l’époque de sa propre naissance, Nicolas crut sentir le néant de la mort et de la vie, et céda à cette voluptueuse tristesse que les Romains se plaisaient à exciter dans leurs festins ; il s’écria comme Trimalcion : « Puisque la vie est si courte, il faut se hâter… »

En rentrant à l’imprimerie, il prit un livre pour changer le cours de ces idées ; mais peu de temps après, il vit revenir Mme Parangon, qui sortait de chez la procureuse, où elle avait dîné. Elle était chaussée en mules à languettes, bordure et talons verts, attachées par une rosette en brillants. Ces mules étaient neuves et la gênaient probablement, et, comme Tiennette n’était pas rentrée, elle pria Nicolas de débarrasser un petit fauteuil cramoisi, afin qu’elle pût s’asseoir. Nicolas, la voyant assise, se précipita à ses pieds, et lui ôta ses mules sans les déboucler. La dame ne fit que sourire, et dit :

— Au moins donnez-m’en d’autres.

Nicolas se hâta d’en aller chercher ; mais Mme Parangon avait à son retour, caché ses pieds sous sa robe, et voulut alors se chausser elle-même.

— Que lisez-vous là ? dit-elle.

Le Cid, madame, dit Nicolas.

Et il ajouta :

— Ah ! que Chimène fut malheureuse ! mais qu’elle était aimable !

— Oui, elle se trouvait dans une cruelle position.

— Oh ! bien cruelle !